mercredi 18 mars 2009

Introduction

Le travail tente d’explorer l’espace de l’entre-deux dans l’enveloppe architecturale, notion émergente sur la scène architecturale contemporaine, en se basant sur l’étude d’oeuvres contemporaines concernées par cette notion.

Comment aujourd’hui l’enveloppe est-elle créatrice d’un entre-deux?

Que signifie le terme d’enveloppe contemporaine?
Qu’est-ce qui la distingue du terme traditionnel de façade?
Quels sont les types d’enveloppes contemporaines?
Vers quelle(s) signification(s) et quelle(s) matérialité(s) doit tendre une enveloppe architecturale?
Est-elle un simple habillage du bâtiment? Ou est-elle un dispositif technologique important pour son fonctionnement? Est-ce autre chose ?
Quel rôle joue-t-elle? Un rôle d’interface (actif) entre intérieur et extérieur?
Est-ce qu’elle redélimite l’espace? ou est-ce qu’elle est passage, transition?
Ou les deux?
Quel est le rôle, la fonction de l’entre-deux?
Cet entre-deux est-il un espace séquentiel, c’est-à-dire constitué de limites, d’une série de filtres, d’une épaisseur? Ou est-il un espace synaptique, un espace vide, interstitiel, un espace d’échange?
Autrement dit l’épaisseur de l’entre deux est-elle une séquence ou une transition?


Dans une première partie, nous tenterons de définir ce qu’est une enveloppe architecturale, de sillonner son évolution pour comprendre quel(s) sens lui accorder aujourd’hui. Nous ferons la distinction entre l’enveloppant et l’enveloppé afin de mieux comprendre architecturalement, l’épaisseur de l’enveloppant qui caractérise l’entre-deux. Nous explorerons par la suite cet enveloppé et tenterons de le définir à son tour.

Dans une seconde partie, nous aborderons ce couple enveloppant-enveloppé à travers six œuvres architecturales contemporaines choisies qui permettent d’établir un recensement d’idées et de points de vue divergents et convergents qui font la richesse, la diversité et la complexité de ce dipôle.

Dans une troisième partie, nous mettrons en confrontation les cas explorés et tenterons de répondre à la problématique soulevée. Qu’est-ce qui est enveloppant et enveloppé ? Qu’est-ce qui caractérise spécifiquement une architecture d’enveloppe ? Est-ce qu’il y a toujours de l’enveloppant et de l’enveloppé ?

Définition de l’enveloppe architecturale

Les contours de l’habitat

L’«enveloppe» d’un édifice désigne la partie visible de tout édifice, que l’on se situe à l’intérieur ou à l’extérieur de l’édifice. En ce sens, l’enveloppe joue un rôle d’interface avec l’extérieur. Mais c’est avant tout une protection, une « matière » permettant de se protéger. Son rôle protecteur peut se vérifier à toutes les échelles, de la molécule, à la membrane, en passant par le vêtement. Autrement dit, l’enveloppe est l’enveloppant de tout habitat désigné comme l’enveloppé. Mais l’enveloppe elle-même peut-être constitué d’un enveloppé autrement appelé l’entre deux de l’enveloppant.

L’émergence de nouveaux concepts architecturaux donne naissance à de nouvelles formes architecturales, à de nouveaux systèmes. Cette évolution de l’habitat se traduit par une terminologie nouvelle (enveloppe multicouche, peau, double peau) qui relève d’une analogie au vêtement et à ses épaisseurs protectrices et superposables, à l’épiderme, à la chair d’un fruit, à la couche terrestre. Cette approche sensible de l’enveloppe s’est complexifiée par rapport à la terminologie traditionnelle reflétant une conception plus globale de l’habitat (murs, sols, toitures). Cette terminologie nouvelle traduit l’aspiration de l’architecte à replacer l’homme et son bien-être au cœur de la réflexion architecturale et lui permettre d’habiter autrement.

Or comment ses changements de considération se sont-ils traduits dans l’acte de bâtir ? Ces changements associés à l’utilisation de nouveaux matériaux et techniques de mise en œuvre correspondent à une évolution de la conscience que l’homme a de son environnement.

Formes primitives de l’enveloppant et évolution des contours de l’enveloppé

D’un monde intérieur au monde extérieur

Le corps maternel
L’objet transitionnel enveloppant
La nature mère nourricière


La première forme d’enveloppant que connaît l’homme est le corps maternel.
La nécessité qu’exprime l’homme depuis tous temps et tous âges, de s’emparer ou se confectionner un enveloppant pour y trouver refuge, remonte à la naissance, à cette première expérience transitionnelle vécue, à ce passage du monde du dedans au monde du dehors. Ce phénomène transitionnel perdure par artefact consistant à fabriquer, par nécessité, un objet transitionnel permettant des allers-retours entre différentes sphères, intérieures, extérieures, réelle, imaginaire ou symbolique.
Ce besoin d’enveloppement se traduit aussi par des « faits » culturels.
De tout temps, les adultes ont transmis à l’enfant, une étoffe, une pièce de tissu pour matérialiser, tisser la trame de leurs relations et lui dessiner une place, la sienne, dans la société à laquelle il appartient.
Les pièces d’étoles telles le pagne, le sari, les langes ou les voiles, ont des fonctions d’apaisement, de consolation, de portage et de protection. Elles assurent la transition entre le corps maternel et son nouvel habitat (berceau).
En Inde et en Afrique, le portage de l’enfant à l’aide d’un tissu jusqu’à son sevrage se fait de manière culturellement ritualisée par rapport à la société, qui entoure et enveloppe toujours l’enfant. Cette pièce de tissu a une valeur symbolique. Elle représente le ventre-utérus de la mère, un lien du corps maternelle avec tous les « enfants de la même déchirure » et la cohésion de cette fratrie avec la mère. Après le sevrage de l’enfant, elle marque le moment d’individualisation de l’être. Elle symbolise le processus de différenciation et de séparation de l’enfant par rapport à sa mère et son environnement.
Le linceul est aussi un objet transitionnel jusqu’à la mort. (Cérémonie des « relevailles » à Madagascar).
Ainsi, l’enfant devenant adulte, éprouve un besoin vital de s’enquérir d’un chez-soi, d’un enveloppé ou un désir nostalgique de retrouver cet enveloppant qui le rassure. La nature devient alors sa nouvelle mère nourricière. L’homme appartient désormais à la terre.


De la séparation du monde extérieur ....

L’enveloppe protectrice
L’enveloppant opportun
L’enveloppant modifié
L’enveloppant symbolique

L’enveloppe structurante
Le concept de muralité

La deuxième forme d’enveloppant qui appartient au monde extérieur, se traduit par un habitat trouvé, opportun, que l’homme n’a pas construit, mais qu’il a découvert et s’est approprié. Ce « lieu-abri » qui peut être une caverne, un creux, une grotte, un réceptacle-carapace, est né d’un caprice géomorphologique de la croûte terrestre. Il trouve sa justification sociale grâce à l’instinct d’adaptation et de survie de l’homme qui en a fait son habitat.

Les premiers chasseurs du Néolithique occupaient des huttes recouvertes de peaux ainsi que les cavités naturelles rocheuses. Adoptant un mode de vie plus sédentaire, cet habitat de la providence se modifie peu à peu par l’intervention de l’homme qui complète le travail de la nature et organise l’espace pour des raisons d’abord cultuel et économique.

Le village fortifié de Cucuruzzu, en Corse, est un exemple d’équilibre entre les prémices d’une architecture et l’œuvre accomplie de la nature. Ce complexe monumental utilise habilement un chaos granitique agencé avec des blocs cyclopéens. Ce castellu montagnard se présente comme un ensemble fonctionnel de base presque circulaire, à vocation en partie cultuelle et surtout économique. Dans les différentes loges qui le composent étaient réunies toutes les activités d’un atelier de poterie, d’un moulin et d’un entrepôt à céréales. Tout autour et sur près de deux hectares s’étendaient les habitations du village de la tribu occupant les lieux.

Progressivement, des constructions durables apparaissent en torchis et en pierres. A quelques centaines de mètres de Cucuruzzu, le site de Capula se compose lui aussi d’un environnement rocheux où d’énormes blocs de granit ont été appareillés avec un soubassement de pierres monumentales, complété ensuite par des rangées régulières de moellons.

Ainsi dans cet habitat primitif qui exploite les cavités rocheuses, les volumes creusés dans la masse qui isole, l’enveloppe primitive minérale prend un aspect protecteur. L’enveloppe végétale prend elle, un aspect de camouflage, et l’enveloppe animale, une forme d’habillage.(L’homme réutilise la peau des bêtes qu’il chasse pour envelopper son habitat.)

L’enveloppe minérale représente une coupure franche puisqu’elle sépare l’intérieur et l’extérieur, la nuit et le jour, l’obscur et la lumière, la matière et l’air. Or la caverne ou la grotte qui exprime fortement le rôle initial de carapace de cette enveloppe, apparaît comme matrice symbolique. Cette enveloppe protectrice qui renvoie à un espace sécurisé renvoie désormais à celui de l’intimité et du ressourcement. Evoquant un certain retour originel, retour à un état premier, cet espace offre une sécurité à la fois matérielle et psychologique. Cette enveloppe naturelle a inscrit profondément en l’homme une conception de l’habitat comme lieu de repli.

Lorsque l’homme commence à aménager l’espace, à l’enveloppe naturelle, s’ajoute une enveloppe façonnée par les mains de l’homme dans un soucis d’adapter son habitat à de nouveaux usages. L’extension de l’enveloppe naturelle permet d’agrandir l’espace investi par des appentis de branchages, un enclos de pierres appareillées, d’ouvrir son habitat vers l’extérieur occasionnant des échappées d’air (pour l’évacuation des fumées) et de lumières pour éclairé l’enveloppé.

L’habitat troglodytique illustre ce pas avancé d’un habitat naturel modifié.

L’enveloppe sortant des profondeurs de la croûte terrestre court désormais le territoire. Avec l’apparition de l’oppidum des camps celtiques, de l’enceinte gallo-romaine, des remparts des villes médiévales et de ses maisons fortes, de l’enclos des exploitations agricoles ou des domaines privés, l’enveloppe renforce son rôle de protection au-delà du logis puisqu’elle contrôle désormais un territoire.

L’enveloppe devient mur, un mur de simple épaisseur. Son aspect monolithique, souvent aveugle ou pourvu de très petites ouvertures, exprime un caractère défensif, une capacité de résistance faces aux intempéries, aux invasions comme aux évasions.
Ainsi la gangue minérale du logis additionnée à l’enceinte constitue un bouclier choisi et créé par l’homme. La protection apportée par le mur, la paroi se rapporte au repli, au subi, à l’homme acculé dans son antre.
Avec l’enceinte ou le rempart, la paroi devient une défense décidée, une résistance qui peut être modulée et s’étendre vers l’extérieur afin de conquérir un nouveau territoire.
Les enceintes introduisent un nouveau rapport entre enveloppant et enveloppé. L’enveloppé se développe de manière concentrique à l’intérieur de l’enveloppant.
Ce phénomène se traduit par une concentricité des villes à l’intérieur des remparts ainsi que de l’habitat. L’enveloppé du logis se compose d’une succession d’enceintes juxtaposées et se développe suivant un passage de salle en salle, de pièce en pièce, générant une spécialisation des espaces intérieurs (lieux de partage, d’échange, de rencontre, de circulation et d’isolement, lieu du travail et lieu du repos).

Ainsi l’enceinte à l’intérieur de laquelle se développe l’habitat protégé, devient une paroi extérieure (dissociée de l’habitat), une enveloppe autonome. Son déploiement vers l’extérieur traduit un certain comportement de l’homme vis-à-vis de son environnement, une attitude conquérante de l’homme vis-à-vis de la terre.
Avec l’apparition des premiers rempart, l’enveloppe va prendre une valeur autrement symbolique, représentant à la fois une protection et un pouvoir.


... A la division d’un monde intérieur

Décomposition de l’enveloppe
Structure et revêtement

Dématérialisation de l’enveloppe
Les colonnes

Vers une enveloppe structurante

L’enveloppe est à la fois paroi et structure. Or la paroi est ce qui clôt et la structure est ce qui porte. Les structures massives associent les deux fonctions. Le mur constitue l’appareil porteur et le cloisonnement de l’espace. Dès l’Antiquité, l’enveloppe abrite en ses murs et partitionne l’espace.

L’Antiquité gréco-romaine
L’enveloppe «solide et utile»

L’histoire de l’architecture accorde une part importante à cette période dont les monuments antiques et les principes ont constitué une source d’inspiration constante dès la Renaissance.
A cette période les matériaux peu nombreux et les procédés constructifs simples font preuve d’une véritable économie de moyens. Les temples sont construits en bois, en argile et en pierre selon un dispositif simple se basant sur trois éléments constructifs essentiels : le mur, la colonne et la plate-bande. L’architecture préclassique et classique attribue à la muralité et au traitement de l’articulation de la colonne et de la plate-bande une importance capitale.

La structure du temple grec est fondée sur un système réglé de rapports logiques et dimensionnels entre ses différentes composantes constructives, un système arithmétique et géométrique. Les concepteurs, tel que Ictinos au Parthénon, ont recours à des corrections optiques qui consistent à bomber légèrement la plate-forme du temple afin de lui redonner sa prestance. L’architecture enveloppante participe ainsi à des réflexions optiques et physiologiques.

Au cours de la période hellénistique, une sophistication croissante des programmes et des procédés de construction apparaît. Des palais et des habitations particulières sont construits à proximité des temples et des salles d’assemblées. L’architecture domestique fait apparaître les arcs et les voûtes et un début de dissociation entre ordonnance extérieure et structure des édifices. Les progrès de l’architecture indissociable d’un mouvement d’investigation scientifique et technique mettent en crise le principe d’unité structurelle de classicisme grec.

A Rome, ville impériale qui apparaît comme l’héritière de la civilisation hellénistique, les monuments, tel que le Panthéon, font usage d’une nouvelle technique. Cette innovation constructive que représente l’opus caementicum, le béton romain, qui permet de bâtir au moyen d’un mélange de mortier et d’agrégats avant de procéder à un habillage de brique ou de pierre, accentue la dissociation entre forme et structure.

L’architecte romain Vitruve qui réalisa le premier traité d’architecture, De architectura (au Ier siècle avant J.-C.) seule approche théorique de l’architecture antique, se montre hostile à cette nouvelle technique au nom de la probité constructive qui réclame d’accorder l’apparence à la structure de l’édifice. Bien qu’il fonde l’architecture sur sa nécessité constructive d’abriter les hommes, Vitruve distingue la discipline architecturale de l’art de bâtir. A la solidité et à l’utilité, qualités essentielles de l’art de bâtir, doit s’ajouter la beauté qui naît de la méditation de l’usage et de sa pérennisation dans la pierre et le marbre. Son traité qui tente de codifier les principes de l’architecture hellénistique (système de proportions, utilisation des ordres, etc.), révèle les rapports entretenus entre la discipline architecturale, la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, la musique, voire la médecine. Ingénieur autant qu’architecte, Vitruve nous montre l’image d’une discipline architecturale en prise sur l’ensemble des procédés au moyen desquels l’homme agit sur la nature.

Les bâtisseurs du Moyen-Age
La visée technicienne de l’enveloppe et son élan vertical

Au cours du Moyen-Age, l’influence romaine sur l’architecture se conjugue avec des apports byzantins et orientaux. L’enveloppant ne cesse de se complexifier. Les églises romanes qui se développent en Occident du Xème eu XIIème siècle, adoptent de nouveaux procédés constructifs telles que la voûte en berceau pour la nef principale, la voûte d’arête pour les bas-côtés, la calotte ou la coupole en pierre, les piles cruciformes qui récupèrent les charges. Avec l’ampleur que prennent les édifices religieux, les techniques de construction sont renouvelées. A l’intérieur, « la voûte en berceau continu cède la place au berceau à doubleaux qui détermine des travées et enrichit le rythme intérieur de l’édifice » . C’est le cas de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay du XIIème siècle, restaurée par Viollet-le-Duc. « Aux supports de la voûte (piliers quadrangulaires, cruciformes, quadrilobés ou polylobés) s’ajoutent les colonnes engagées qui reçoivent les retombées des doubleaux. »

A l’extérieur, « les murs sont rythmés part les contreforts et les bandes lombardes, réunies à leur sommet par des arcatures aveugles. » C’est le cas de l’église Saint-Philibert de Tournus, ancienne abbatiale reconstruite au XIème siècle.
Le développement de l’architecture romane s’exprime à travers une grande diversité stylistique liée aux particularités régionales. Tandis que les abbayes de Cluny et de Paray-le-monial expriment le développement de la monumentalité et la richesse décorative, les abbayes de Cîteaux et du Thoronet imposent pour leur part, la simplicité et le dépouillement.
Les performances de plus en plus spectaculaires de ces édifices qui gagnent en hauteur, en ouverture et en lumière, laissent places aux cathédrales gothiques.

L’architecture gothique qui se développe de la fin du XIIème au début du XVIème siècles, accorde un intérêt croissant à l’homme et la nature et s’exprime à travers l’évidement des murs, la multiplication des fenêtres et l’accentuation de la verticalité. La réflexion des maîtres d’œuvres gothiques part de la voûte dont les poussées canalisées par l’intermédiaire des arcs en ogive sont reprises au moyen de piles cruciformes, de contreforts et d’arcs-boutants, transformant ainsi les édifices en un système dynamique de butées et de contrebutées qui s’exprime avec franchise. De très fins appuis verticaux et obliques révèlent les lignes de force de la structure. Dans les cathédrales des XIIème et XIIIème siècles, la construction se donne à voir au même titre que le décor sculpté qui orne les façades. La conception de ces cathédrales ne participe pas de calculs savants mais participe d’un ensemble d’intuitions structurelles et de savoir-faire lentement sédimentés qui tend à rationaliser leur mise en œuvre. Le tracé des voûtes qui est indissociable des procédés de taille des pierres et des appareillages témoigne de cette préoccupation et d’une prise en compte globale du processus de conception-réalisation liée à la taille et à la complexité croissante des chantiers.

Tandis que la conception d’une église romane s’appuyait sur un symbolisme des nombres renvoyant au message biblique et à ses interprétations, la conception des cathédrales accorde un intérêt à la géométrie. Cette géométrie diffère de celle de Vitruve qui repose sur les rapports dimensionnels entre le tout et les parties. Les bâtisseurs gothiques usent d’une géométrie nouvelle, la géométrie de la règle et du compas, véritable outil de conception et de communication nécessaire à la coordination du plan et de l’élévation de l’édifice et à la définition des gabarits des pierres permettant sa réalisation. A cette époque, un vif intérêt est porté aux techniques constructives que nous révèle Villard de Honnecourt, maître d’œuvre et dessinateur du XIIIème siècle dans le carnet de dessin qui nous livre. La précision des schémas, la qualité des esquisses et l’exactitude des plans nous renseignent sur la construction des cathédrales. Ce document rappelle le traité de Vitruve pourtant ignoré des bâtisseurs de l’époque.

Renaissance ou régression
La primauté du beau, de l’ordre et du statique

Au XVème siècle apparaît un mouvement de rupture avec le gothique, la pensée médiévale et l’assujettissement à Dieu. Désormais, l’architecture de la Renaissance n’a plus de visée technicienne. Elle se base sur des principes esthétiques supérieurs, des concepts abstraits tels que la symétrie et les proportions, l’emploi d’une langue strictement réglementée dans son vocabulaire et sa syntaxe, et le système des ordres. Plaçant la «beauté» au centre de ses préoccupations et remettant en cause ou niant les acquis de ses prédécesseurs, elle représente une régression pour l’architecture. Elle condamne l’arc-brisé pour revenir au plein cintre (jugé plus «pur» au dessin). Elle renonce aux exploits des maîtres maçons du Moyen-Age. Elle revient à la voûte en berceau ainsi qu’à une conception statique de la construction. Elle se reffuse à toutes performances comme l’élévation excessive du volume, l’allègement des parois ou l’ouverture à la lumière. Elle condamne le dernier style du Moyen-Age et ses «ouvrages monstrueux et barbares qu’on peut appeler plutôt confusion et désordre» (Vasari).

La Renaissance qui naît en Italie, redécouvre l’idéal humaniste, politique, philosophique et artistique de l’Antiquité.
Elle redécouvre l’œuvre vitruvienne dont le traité est édité pour la première fois à Rome en 1486, avec Leon Batista Alberti (1404-1472), architecte génois. Ce dernier nous livre en 1450, son traité, De re aedificatoria influençant radicalement ses contemporains qui imitent les formes antiques et s’en inspirent.
Parallèlement à ce regain d’intérêt vitruvien, s’affirme une nouvelle figure d’architecte humaniste tel que Filippo Brunelleschi (1377-1446) dont l’ambition de contrôle des tâches de chantier qui l’anime s’inscrit dans une nouvelle vision des procédures d’édification. Brunelleschi sculpteur et architecte florentin, étudie et interprète l’antique. Il tente de ranimer ce dernier en conséquence d’un essoufflement du gothique. Il entend remonter aux sources même de l’architecture gréco-romaines de l’Antiquité afin de rationaliser l’espace de la Cité moderne et met en place les bases de la perspective opposant ainsi le gothique tardif à un nouveau système de représentation du monde. L’étude des monuments antiques lui apporte nombre d’enseignements comme la disposition planimétrique, les rapports des éléments architecturaux entre eux et les règles pratiques de construction. Il réadapte le vocabulaire antique à un édifice qu’il conçoit comme un tout organique régi par des mesures et des proportions harmoniques.
Brunelleschi saisit l’importance de la lumière comme « réalité mesurable » et celle de la géométrie comme système de représentation. Il expérimente un nouvel espace à la fois visuel et plastique.
S’appuyant sur les notions récentes de la perspective, il redéfinit l’édifice dans son contexte social et urbanistique en lui conférant une nouvelle spatialité. Les lignes de force de l’architecture (colonnades) comme ses contours ou les scansions de l’espace (l’arternance des pleins et des vides) sont mises en évidence par la perspective, perspective conçue comme une structure géométrique de l’espace. L’architecture, elle, est conçue comme représentation rationnelle de cet espace.

Ainsi, la Renaissance dicte à l’architecture de nouveaux principes où les règles de régularité, de symétrie et de proportion préside à toute création architecturale, et un nouveau langage fondé sur les ordres à la fois système de proportion et langage décoratif. Les façades sont rectilignes, les raccords se font à angle droit (tous angles obtus ou aigüs sont proscrits). Les façades sont pourvues de baies de largeurs égales et espacées régulièrement. Les baies doivent être également alignées sur un même niveau. Les façdes se composent par symétrie de deux moitiés identiques par rapport à l’axe médiant. Les dimensions du bâtiment doivent être harmonieuses. Par conséquant, ses dimensions doivent être des multiples d’un module de base.

Ill. Lhôpital des Innocents à Florence (1419-1424)dont le plan est régi par le nombre d’or, dont le tout architectural établit un rapport particulier à l’espace urbain, et dont l’enveloppe architecturale ou «membrure» de l’édifice, est soulignée par les lignes horizontales et verticales en Pietra Serena (pierre grise locale), est la manifestation d’un style nouveau en opposition à l’élancement gothique et à sa polychromie.

Cette vision se précise dans le traité d’Alberti qui reprend la triade vitruvienne solidité, utilité, beauté en la réinterprétant à la lumière des acquis les plus récents de l’humanisme. Or l’économie spatiale de projets, leur soumission aux impératifs du beau en architecture, priment sur les techniques utilisées pour les réaliser. L’architecte humaniste tend à privilégier les dimensions qui distinguent sa pratique du simple art de bâtir. Ainsi l’architecte, peintre, sculpteur, théoricien et poète, devient un savant qui utilise les traités, connaît les règles de la perspective et s’attache à la connaissance du corps humain. Son statut social évolue au cours du XVème siècle au fur et à mesure que la dimension intellectuelle de l’œuvre créée est reconnue.
Dans le reste de l’Europe où l’héritage médiéval demeure vivace, l’évolution est lente.

En France, au XVIème siècle, les architectes de la Renaissance tel que Philibert de L’Orme (1510-1570), vont tenter de concilier les acquis constructifs du Moyen-Age avec les enseignements de l’Italie. Delorme incarne la figure de l’architecte porteur d’une culture savante qui rompt avec la tradition des maîtres maçons constructeurs des cathédrales ayant appris leur métier sur les chantiers. Ses réalisations architecturales aux enveloppes minérales, combinent les formes de la Renaissance italienne à des réalisations stéréotomiques sophistiquées.
Les architectes de la Renaissance placent toutefois la tradition vitruvienne en position délicate. Le mode de construction qu’annoncent les colonnes dont s’ornent palais et églises échappe au comportement véritable de la maçonnerie. La valeur structurelle de la colonne est subordonnée aux impératifs du beau en architecture. L’architecture baroque rend compte de ces expérimentations formelles dont la géométrie complexe (circulaire ou elliptique) s’écarte des tracés régulateurs à la manière antique que prônent les architectes de la Renaissance auteurs de traités.

Un baroque réactonnaire ou maniéré
Tentatives de mouvances


Tandis que le classicisme très présent en France se réalise dans le respect des formes antiques gréco-romaines, le baroque s’en distingue par l’innovation.

« L’esprit baroque réside dans la liberté de modifier les formes classiques à l’origine de manière à les rendre perméables à toutes les nuances d’expression émotive (rupture de soubassement, doublement des colonnes, incurvation des frontons, effet de trompe l’œil) »

Le baroque valorise le mouvement, la ligne courbe, l’inconstance, la démesure, l’illusion ou le mystère. Il est conforme à l’esthétique que préconise la Contre-Réforme catholique. Il se développe dans une France en crise qui sort tout juste des guerres de religions (1660).

Ill. La colonnade du Louvre, Paris, édification en 1667 d’une façade monumentale dominée par un péristyle à colonnes doubles occupant tout l’étage. Tout en se réclamant de la pureté des lignes gréco-romaine, l’édifice fait appel à des techniques différentes de celles de l’Antiquité. Ses colonnes accouplées et ces grands linteaux de pierre sont construits par claveaux comme autant de voûtes plates stabilisées au moyen d’agrafes et de tirants métalliques. L’écart entre le modèle vitruvien et les procédés employés pour le réaliser atteint son paroxysme.

Ill. Le palais du Luxembourg (1615-1631) de Salomon de Brosse, montre un mélange habile des éléments à la française (toits mansardés et décorés) et italiens (traitement rustique du parement de pierre).

Ill. Le château de Maisons-Laffitte (1642) de François Mansart qui reprend une innovation italienne, un ordre architectural pour chaque étage. Le frontispice avec son ornementation et son toit surhaussé est typiquement baroque.

Autant le baroque italien fait l’usage de courbe et de contre-courbes, autant le baroque français préfère les coins et les contre-coins orthogonaux.

Ill. La façade d’entrée du château de Vaux-le-Vicomte (1657-1661) construit pour Fouquet par l’architecte Louis Le Vau (1612-1670) se développe selon un «profil en U creux» du bâtiment conférant «deux coins en creux» nous enveloppant et nous accueillant. Chacun de ces coins est encombré d’un «contre-coin en plein» contrariant cet enveloppant et empêchant de ressentir l’effet de creux.
Nous sommes à la fois dans un «coin creux» et devant un «coin plein». Les extrémités des ailes latérales affirment chacune un axe autonome qui concurrence l’axe de l’ensemble du bâtiment. Les redents successifs ponctuent la façades d’axes verticaux qu’accentue la perspective et créent une rythmique architecturale. La suite continue de cubes similaires, frontaux et latéraux, dont l’orientation diffère, confère une dynamique à la façade.


L’enveloppe comme expression de la gravité

Au travers ces siècles de l’histoire de l’architecture, on constate que la tradition ancestrale de la maçonnerie se perpétue accordant à la façade la fonction de clore et de porter l’édifice. Les murs massifs étaient le plus souvent homogènes, et leur adaptation aux charges croissantes vers le bas a été résolue par une réduction des percements ou une augmentation progressive de l’épaisseur. L’enveloppe minérale ou maçonnée qui se veut ancrage au sol, révèle en son langage le choix d’un dispositif structurel. Les contours qu’épouse l’édifice rendent compte des charges qui pèsent sur lui, de cette force gravitationnelle qu’il faut acculer.
Ainsi le mur s’élargit sur la face intérieure ou extérieure sous la forme d’un fruit ou de ressauts correspondant à la division des planchers. La cohésion structurelle du mur, raidi par les planchers, est renforcée par une armature filante, le chaînage. L’assemblage peut être apparent ou souligné d’une modénature protégeant les ressauts de l’infiltration d’eau. Les ancres qui martellent l’enveloppe, sont les ferrures que l’on fait passer dans l’œil d’un tirant, servant à relier un chaînage ou les solives du plancher à un mur afin d’empêcher l’écartement des façades, la poussée des voûtes ou le déversement des cheminées. Le plus souvent, elles sont cachées dans la maçonnerie, mais lorsqu’elles sont apparentes et disposées régulièrement, elles ornent la façade des signes emblématiques du corps de métier. L’enveloppe affiche les marques de fabrique de l’édifice. Sa composition ou ordonnance donne à lire la façon du tout architecturé.

Ill : maison de village en Corse
Immeuble industriel à Londres
Immeuble de rapport à Paris

L’enveloppe structurelle verticale se déforme sous la charge de son propre poids. Les poussées horizontales et verticales se transmettent par une force oblique, la résultante, dans la masse du mur ou celle du contrefort (à l’intérieur de la surface d’appui). D’où l’importance accordée à l’épaisseur structurelle enveloppante qui est la quantité de matière nécessaire à la stabilité du plan vertical de la construction.

Ill : Contreforts d’une église romane
Bibliothèque d’histoire de l’université de Cambridge, James Stirling architecte, 1964

La stabilité recherchée de cet enveloppant ou tout architectural, s’exprime par ailleurs par la disposition en arcades, qui soulage la section des piliers où les résultantes s’annulent en une seule force verticale.

Ill : Arcature du palais des Doges, Venise

Après une longue période du XVIème au XVIIIème siècle, marquée par la permanence des matériaux de base tels que la pierre, la brique et le bois et le silence de la tradition vitruvienne à l’égard de la construction., on reconnait une évolution progressive des techniques constructives dans les villes où le bois et le torchis des habitations médiévales sont remplacés par la pierre, la brique. L’ouvrage de maçonnerie qui prédomine, différencie deux parties soumises aux efforts. Le mur traditionnel est une surface continue, unifiée par son revêtement, et dont la modénature et le relief souligne soulignent les points de résistance aux poussées. L’association de la structure et de la paroi au sein de l’enveloppe sera remise en cause avec l’emploi du fer et du béton armé qui généraliseront la construction à ossature. Mais les nouveaux savoir-faire ne boulverseront pas tant le cadre de la production ordinaire du bâti.


Conservatisme nostalgique contre rationalisme critique
L’enveloppe historicisante

A la fin du XVIIIème siècle, les villes connaissent un fort développement dans un climat révolutionnaire et d’indépendance face aux crises de l’Ancien Régime. Les principes unitaires du classicisme sont abolis au profit d’un néoclassicisme et éclectisme grandissant. L’autorité des forces conservatrices qui dirigent la commande d’architecture, les institutions et les pratiques, diffère l’apparition d’un nouveau système d’architecture, le rationalisme critique.
La demande croissante d’architecture publique née de l’urbanisation, se satisfait en masse par l’esthétique, vulgaire ou raffinée, des formules éclectiques et historicistes.
L’enveloppe se revêtit de tonalités anciennes ou lointaines. Or les certitudes forgées dans l’imitation de l’Antique sont mises en question par les voyages des architectes, les fouilles et découvertes archéologiques et par l’intérêt grandissant pour les techniques de construction du passé. A cette époque, une reconnaissance patrimoniale aboutit aux premiers chantiers de restauration.

La banalité nécessaire de l’enveloppe

Après 1750, l’architecture passe par une phase intermédiaire et instable, critique et libératrice, marquée par la pensée scientifique et par la réflexion historique, par la crise des croyances qui fondaient l’autorité de l’architecture savante depuis la Renaissance. La nouvelle approche historique et le débat technologique ouvre la voie à la modernité.
Ainsi, au XIXème siècle, le rationalisme, par la relecture de l’histoire et des techniques, alimente la production théorique. Ses théoriciens interprètent de façon critique la rupture, qu’apportent la production industrielle et les techniques du « machinisme » régis par le capitalisme. En France, le traité d’architecture publié à partir de 1850 par de Léonce Reynaud, expose la théorie d’un développement structurel rationnel, et identifie toute construction « au domaine de l’architecture ». les premières réalisations de cette offre rationaliste sont des dispositifs élaborés et construits en réponse au programme, sans les inscrire a priori dans un système d’imitation ou d’interprétation.

mardi 17 mars 2009

Vers une dématérialisation de l’enveloppe

En parcourant l’histoire de l’architecture de L’Antiquité à la Renaissance, on constate que l’enveloppe architecturale en tant qu’épaisseur structurelle se dédensifie (pendant la période gothique) ou se dématérialise en quelque sorte ou le mur porteur se fragmente en une colonnade, en un mur qui se décompose en plusieurs ordres, en un mur qui devient porteur de sens et d’ornements. La colonne grecque et la colonne de la Renaissance n’ont pas le même statut. L’architecturologie hégélienne évoque le rôle salutaire de la colonne.

L’architecturologie hégélienne
Les colonnes

Circulant entre les colonnes d’un temple grec ou d’une cathédrale gothique, on « flirte » avec l’intérieur et l’extérieur. C’est le don de la colonnade : d’écarter les murs.
Le grand évènement de l’histoire de l’architecture selon l’architecte Louis Kahn :

«L’architecture commence quand le mur s’ouvre, s’ajoure, s’écarte, quand les colonnes surgissent en se libérant du mur.»

La colonne est une constante dans la tradition architecturale. Elle est l’ornement principal de l’architecture comme le pensait Alberti mais elle surtout reconnue pour ses propriétés topologiques qui consistent à inscrire une limite sans produire de fermeture.

« […] bien qu’une rangée de colonnes, placées les unes à côté des autres en ligne droite, marque déjà une limitation, elle ne constitue cependant pas un entourage, à la manière d’un vrai mur ou d’une vraie muraille, mais se trouve au contraire à une certaine distance du mur proprement dit et se dresse en toute liberté. »

Entre les colonnes du temple grec, on respire pour la première fois l’air de la liberté. Le sens du Temple est d’offrir cette liberté de promenade dans un paysage à la mesure de l’homme qu’on vient d’inventer :

« Dans ces prostyles et amphiprostyles, dans ces colonnades simples ou doubles qui débouchent directement en plein air, on voit les hommes circuler ouvertement, librement, tantôt dispersés, tantôt groupés au hasard. Car les colonnes en général, servent non pas à enfermer, mais à délimiter, les limites qu’elles tracent, étant facilement franchissables, de sorte qu’on se trouve à la fois à l’extérieur et à l’intérieur ou qu’on peut tout au moins sortir à l’air libre, on a l’impression que les hommes ne se trouvent pas réunis là en vue d’un but, mais uniquement pour y déambuler, pour jouir de leur oisiveté et se livrer à des bavardages gais, légers et frivoles. »

L’architecture ici n’impose aucune signification, pas même une question, elle ouvre un espace favorable à la pure et simple venue.

Ainsi comme le prétendent Georg Wilhelm Hegel (1770-1831), Louis Kahn (1901-1974) ou encore un de nos contemporain philosophe, Benoît Goetz, la colonne permet de «dématérialiser» l’enveloppant - de le «perméabiliser» serait un terme plus approprié - et de créer entre ce dernier et l’enveloppé un nouvel espace, un espace que l’on qualifiera par la suite, dans une seconde partie réservée à «l’entre-deux».

Il faut attendre le XIXe siècle pour que surgisse véritablement ce mouvement de dématérialisation de l’enveloppe. L’époque moderne est marquée par l’emploi de nouveaux matériaux de construction tel que l’acier. Ces éléments d’acier, forgés par l’industrie naissante, ont permis la réalisation de gares ferroviaires, de halles d’exposition et de véritables cathédrales de verre.

L’émergence de nouveaux matériaux

La seconde moitié du XIXème siècle a marqué un tournant dans l’histoire de l’architecture et particulièrement dans le rapport entre l’espace, la structure et l’enveloppe. De nouveaux matériaux apparaissent tels le fer et le béton armé. Ces derniers ont permis de s’affranchir d’une longue tradition architecturale, la continuité de la maçonnerie qui régna sur des périodes entières de l’histoire de l’architecture et d’exploiter les possibilités de ces nouveaux matériaux afin d’obtenir une plus grande liberté dans la mise en œuvre. L’utilisation du fer permet de réduire la structure à une série de montants isolés et de traverses autrement dit à un unique élément capable de s’acquitter seul de la fonction portante.

Vers une autonomie de l’enveloppe architecturale

Structure et revêtement
Deux fondements théoriques, Viollet-le-Duc et Semper

A cette période, émergent deux grandes lignes théoriques, celle de l’architecte allemand Gottfried Semper avec son traité d’architecture « des stijl in der technischen ou tektonischen künsten » de 1860 et celle d’Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) avec ses Entretiens sur l’Architecture paru en 1863, qui diffèrent et s’opposent vis-à-vis de la hiérarchisation entre structure et revêtement et de la genèse de l’espace.

Viollet-le-Duc, un des théoriciens les plus vigoureux du courant rationaliste, considère le gothique comme l’une des manifestations les plus élevées des rapports organiques entre l’état de la civilisation, les formes architecturales et les procédures d’édification. Le gothique constitue, selon lui, un modèle insurpassable dont il tente de mettre à jour le principe profond afin de s’approprier son esprit et non d’en suivre servilement les formes. Dans son traité, la construction apparaît comme le noyau de la discipline architecturale, le lieu où se rencontrent, sous l’égide de la rigueur scientifique et technique, les déterminations sociales et l’invention formelle. Elle possède un caractère dynamique tout enveillant à ne jamais séparer l’objet architectural du processus qui lui donne naissance.

Ainsi, la démarche constructive se pare de dimensions nouvelles notamment sociale et morale. Les architectes doivent désormais se situer vis-à-vis de nouveaux préceptes comme la vérité et le mensonge dans la mise en œuvre des matériaux, le dévoilement ou la dissimulation de la structure.

Chez Semper qui réagit virulemment vis-à-vis de l’éclectisme, on retrouve le même genre de morale constructive. L’ornementation elle-même, selon lui, doit émaner de la technicité que requiert la mise en œuvre rationnelle des matériaux.
Dans son livre Lo stile, Gottfried Semper consacre une partie importante de son oeuvre sur le rapport de l’architecture et de l‘art textile. Semper, qui écrit ce livre à la fin du XIXème siècle, critique virulemment la poussée de l’industrialisation responsable selon lui de l’appauvrissement de la création artistique. Les architectes qui se laissent entrainer dans les prouesses techniques, avec l’apparition de l’acier dans la construction permettant de construire de plus en plus haut et d’augmenter considérablement les portées,oublient pour la plupart les fondements même du projet. Par conséquent, l’oeuvre de Semper tente de retrouver l’essence du projet et de montrer les références reconnues comme importantes et nécessaires à la conception du projet. Ces références, Semper les trouve dans l’art du textile, la céramique et la charpenterie.
Ainsi, pour Semper, l’architecture répond aux problématiques liées à la notion de couverture. Le revêtement, ou enveloppe du bâtiment, peut être traité de différentes manières. L’enveloppant peut être fin ou épais, transparent ou opaque, uniforme ou irrégulier, et changer suivant les variations de la lumière qui pénètre à l’intérieur de l’édifice. Il représente un élément essentiel du tout architecturé, en tant que lien étroit entre intérieur et extérieur. Se développant de manière poreuse ou imperméable, cet enveloppant englobe et protège une intériorité.
Or Semper insiste sur le fait que l’enveloppe est une épaisseur mais avant tout une surface signifiante. L’image que renvoie la façade, peut signifier de manière dircte ou indirecte, évoquer ou renvoyer à la sensibilité. Ainsi, l’enveloppe devient une partie essentielle du projet en tant qu’image porteuse de sens. La façade du bâtiment devient sa vitrine.

L’enveloppe sublimée
L’expression du rideau continu à travers
l’enveloppe nervurée de l’architecture viennoise


Vers la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, les problématiques développées par Gottfried semper autour du principe de revêtement, avec ses connotations symboliques, ses rapports à la tradition du textile, ses implications quant à l’exigence de la vérité constructive, sont à cette époque, au cœur de la culture architecturale viennoise.
« Otto Wagner, Josef Hoffmann, Joseph Maria Olbrich et Adolf Loos confient la caractérisation formelle de l’architecture au dessein de la paroi, perçue comme une page graphique riche de potentialités symboliques et autonome par rapport au système structurel. »
Ainsi, à la charnière du XIXème et XXème siècle, l’architecture viennoise qui se singularise par l’expression du rideau continu à travers l’enveloppe nervurée , est fortement influencée par l’idée sempérienne de la paroi comme limite de l’espace, chargée de valeurs symboliques.
Dans Der Stil, Semper fait l’apologie de la transfiguration de la technique, de cette « annulation de la réalité » à travers l’acte de « masquer », ce cet « oubli des matériaux » qui sera soutenu par les architectes viennois. Or le concept de masque implique de toute façon la maîtrise de la technique, d’où d’apparentes contradictions entre l’aspiration au Nutzstil comme application déterministe des technologies modernes et les applications concrètes de l’idéale de transfiguration symbolique de la réalité constructive prônée par Semper.
La primauté formelle dévolue à la paroi en tant que surface continue, précieusement habillée, a été déterminante dans l’usage de l’ossature de fer et du béton armé. L’ossature est circonscrite aux parties de soubassement des édifices destinés à des fonctions commerciales. Elle n’est jamais laissée apparente. Elle est toujours revêtue de précieuses plaques de pierres ou enfermée dans une enveloppe de plaques de verre et de tiges de fer.
Ainsi Wagner comme Hofmann et Loos, adopte des systèmes constructifs mixtes où la paroi fait l’objet d’une attention particulière en tant que surface et instrument privilégié du langage architectural.
Loos envisage également d’utiliser l’enduit en refusant la reprise de formes historicistes ou l’imitation d’autres formes de revêtement ou de maçonnerie. Loos attribue à l’enduit la valeur d’une peau mais renonce aux virtuosités graphiques du symbolisme textile propre à la décoration de goût wagnerien et sécessionniste. En 1898, il « théorise » des façades de maisons « lisses de haut en bas ». Ainsi, la « solution limite en matière de revêtement d’enduit » influencera considérablement les protagonistes des avant-gardes architecturales, de Le Corbusier à Walter Gropius, qui naît et se développe dans le cadre de la théorie sempérienne du revêtement.
Au cours de cette période, on procède à une série d’expérimentations sur le revêtement.Wagner propose un revêtement qui se caractérise par l’extrême réduction de l’épaisseur des plaques (environ deux centimètres) qui élimine toute amorce d’éléments du revêtement dans la maçonnerie et autorise une interdépendance absolue entre le dessin du revêtement et l’appareillage de maçonnerie. Le revêtement peut ainsi proposer son propre dessin comme image de la paroi, indépendante de toute logique tectonique.

Entre consistance et dématérialisation
Une tension dialectique constante
entre logique constructive et abstraction symbolique

Les nombreux textes théoriques de Berlage laissent transparaître une aspiration constante à conjuguer de façon cohérente la thèse de Semper sur l’origine textile de la paroi et celle de Viollet-le-Duc sur la vérité constructive.
Sa poétique vise à ramener l’enveloppe continue tissée par l’appareillage de briques et la présence de l’ossature structurelle en fer ou en béton armé. La charge de valeurs symboliques portée par la délimitation de l’espace et la vérité de la structure s’impose comme objectif dialectique. Cet idéal de transparence absolue s’accomplit dans une recherche de spatialité interne organisant matière et fonctions. D’où la dialectique entre squelette et continuité de la maçonnerie, entre tectonique de l’appareillage de construction en briques et suggestion de sa sublimation en rideau, entre consistance et dématérialisation.
La paroi de briques apparentes qui vit de la tension dialectique constante entre logique constructive et abstraction symbolique, s’étend comme un rideau découpé d’une séquence de vides portés au rang de motifs d’un tissu léger qui n’est autre que la surface murale.
L’architecture de Berlage se caractérise par des membrures articulant l’enveloppe afin de constituer un élément de médiation entre la continuité de la paroi et les structures linéaires en fer des couvertures, dans une logique viollet-le-ducienne, laissées apparentes. Ces membrures définissent un squelette réabsorbé par la continuité de l’enveloppe. Elles constituent les « coutures nécessaires » chères à Semper. Le revêtement doit montrer sa nature de couche appliquée.

« Forme et décoration sont une seule chose. Elles naissent en même temps, grandissent ensemble, et c’est proprement à cause de leur piètre capacité de discernement que les hommes séparent ces choses, comme corps et vêtement. »

La logique de la vérité de la structure et des matériaux amène Berlage à concevoir l’ornement comme un effet du processus constructif.
La cohérence interne du raisonnement de Berlage avec le mythe textile de Semper et avec les thèses rationalistes de Viollet-le-Duc va si loin que l’utilisation de l’enduit est condamnée parce qu’il masque les qualités expressives des trames constructives qu’il recouvre. Pour Viollet-le-Duc, l’enduit est mensonge.
Berlage se pose pour objectif, la redéfinition de la paroi, la « waandarchitectuur », à travers un rapport dialectique avec la structure des planchers, ayant recours non pas à la structure métallique pour la paroi mais la maçonnerie. Le rideau de maçonnerie conçu selon Semper assume également comme valeur symbolique celle de la nouvelle ossature structurelle.
Dans un processus de dissolution de la paroi, Berlage adopte une structure métallique revêtue d’une couche constituée d’éléments céramiques, qui adhèrent comme une doublure, et cette structure apparaît en façade sous la forme d’une série de minces tiges verticales recouvertes. La caractérisation formelle du revêtement doit mettre en valeur la minceur de l’ossature métallique pour révéler la vérité de la structure.
Berlage travaille sur cette idée de paroi continue texturée. En adoptant la brique comme matériau, il renonce à exprimer clairement la nature non structurelle d’une enveloppe qui est déjà mur-rideau. Il arrive à sublimer l’idée de revêtement dans l’appareillage en briques sans recourir à des solutions en couches appliquées (plaques de marbre, de pierre ou d’enduit).
A travers ses différents calepinages ou rideaux de briques, Berlage exprime symboliquement à la fois le caractère tectonique de la maçonnerie et une légèreté textile. Les ouvertures dans les volumes en saillie deviennent une percée murale taillée dans la surface de l’appareillage sans introduction de linteaux, de plate-bandes ou d’arcs, attestant la recherche d’une continuité de l’enveloppe et de son rôle de doublure de la structure.

« Le véritable revêtement propre n’est pas une enveloppe incohérente qui nie la structure, ni même un vêtement, mais plutôt lorsqu’il est indissolublement lié à la construction interne. »

« L’architecture est une personne habillée à la pire des modes. [ …] L’habit à la mode doit être éliminé pour faire émerger la forme sans enveloppe, c’est-à-dire la saine nature, la vérité. »

L’enveloppe comme rideau suspendu
Joseph Plečnik et l’appareil de maçonnerie en tant que revêtement

Les façades sont conçues comme des surfaces textiles décorées d’un motif géométrique. Le revêtement est exploré dans ses multiples possibilités de matière et de dessin, selon la logique du tissage. Il se présente comme un rideau continu enveloppant même l’angle courbe, tendu entre le vide de la partie inférieure et le retrait de la partie supérieure. Des franges de métal appliquées aux extrémités du revêtement peuvent accentuer le caractère textile de la surface.
Joseph Plečnik réinterprète de façon cohérente et originale le rideau wagnérien à motif abstrait ou fleuri. Il élimine toute trace de la tendance viennoise à dématérialiser l’enveloppe par une écriture graphique toujours plus abstraite, récupérant les formes, couleurs, ornements, matériaux, caractères spatiaux des lieux où il œuvre.

L’influence Viollet-le-Ducienne
Entre expression logique et monumentalisme
Antoni Gaudi ou l’architecture de la courbe funiculaire


De la fin du XIXème siècle à la Première Guerre mondiale, certains architectes, d’Antoni Gaudi à Anatole de Baudot et à ses élèves, de Victor Horta à Hector Guimard, tous d’ascendant culturel majoritairement viollet-le-ducien, s’engagent dans une expérimentation poussée jusqu’aux limites des possibilités constructives soit des techniques traditionnelles soit des structures de métal ou de béton armé. Gaudi et Baudot arrivent à des solutions d’une virtuosité structurelle qui, dans l’aire culturelle catalane, se marie à la tradition de l’architecture islamique, et dans l’aire culturelle française à celle de l’architecture gothique. Pour Horta et Guimard, en revanche, la structure intègre l’ornement pour générer des lignes décoratives fluides.
Combinant force d’imagination et calcul empirique du funiculaire, Gaudi libère la forme architecturale des tectoniques traditionnelles, grecques, islamiques ou gothiques, ouvrant la voie aux infinies potentialités expressives des lignes de la structure. L’œuvre de Gaudi représente l’aboutissement d’une révolution culturelle qui débuta avec la Scienza nuova de Gallilée et la découverte de l’existence d’éléments constructifs statiquement parfaits et informes (les solides d’égale résistance ou la chaînette). Ces fragments invisibles d’un nouvel univers structurel introduits dans l’architecture tel que la structure informe élaboré par Christopher Wren, deviennent des éléments essentiels pour la définition d’une théorie galiléenne de l’architecture, et prennent dans l’œuvre de Gaudi une valeur formelle.
Gaudi accepte le défi de la complexité structurelle dans le cadre d’un choix réfléchi de matériaux relevant de la maçonnerie traditionnelle, la pierre et la brique, en recherchant une forme organique que les techniques inhérentes aux nouveaux matériaux ne peuvent plus obtenir, sino à l’état de masque.
La visée idéale de l’application de méthodes scientifiques est pour Gaudi de dépasser la répétition mécanique d’éléments propre à la structure tramée, pour concrétiser l’idée d’une architecture conçue comme sculpture creuse modelée sur un squelette.

« Les formes continues sont les plus réussies de toutes. »

La conséquence de la démarche intellectuelle de Gaudi est le développement d’un système structurel caractérisé par la continuité des lignes, qui tend à l’élimination des composantes horizontales des forces (poussées).
La dissociation avec les tectoniques traditionnelles s’exprime par le choix d’ouvertures de formes irrégulières courbes et continues, qui nient la géométrie orthogonale de la solution à entablement. L’ouverture est pensée comme un vide dans la membrane organique continue qu’est l’enveloppe architecturale.
Le recours aux formes organiques en façade – façade qui apparaît comme une paroi montagneuse avec des grottes qui s’ouvrent plus nombreuses en soubassement- suggère l’ordre de la nature.

L’organicisme linéaire
Une dialectique possible entre construction et ornement

Dans les Entretiens sur l’architecture de Viollet-le-Duc, se trouve exprimée l’idée que le développement de la ligne végétale, toujours dynamique, qu’elle soit tendue ou en spirale, parte des points de connexion des structures métalliques. Un rapport dialectique peut alors s’établir entre construction et ornement. Il existe en tant que commentaire graphique et non comme masque juxtaposé qui cache la vérité.

Une structure enveloppante intégrée et unitaire
Victor Horta


Victor Horta développe ses lignes jusqu’à investir les limites de l’espace en arrivant, par une continuité de l’ornement, à une définition intégrée et unitaire de la structure enveloppe. La légèreté de la ligne ornementale en fer plat, qui fait écho à la structure, dialogue avec le signe graphique qui anime la surface.
Le langage architectural de Victor Horta se singularise par l’utilisation simultanée de deux types d’ornements investissant les surfaces, l’un amplifiant la structure et l’autre faisant écho aux tensions dynamiques structurelles ou spatiales.
Le développement continu de l’enveloppe rideau du volume unitaire établit une relation avec son environnement urbain (extérieur). La relation avec l’intérieur (avec les fonctions internes du bâtiment) se fait plus discrète se reflétant dans ce rideau en riches variations de rythmes d’une structure composite constituée de parties d’ossature métallique enchâssées entre les poteaux de maçonnerie.
La variation des rythmes structurels est obtenue en introduisant entre les grands poteaux des intervalles qui ne suivent pas une cadence dictée par des schémas structurels mais varient selon la distribution interne. La maille des diverse portions de la trame présente elle aussi des rythmes diversifiés. Le thème de la variation rythmique est enrichit par des éléments d’accentuation graphique tels que des balcons, portails, fenêtres des cages d’escaliers.
L’ossature métallique apparente prend des formes complexes. Les nervures principales et celles de raidissement de la structure métallique du plancher prennent une géométrie à réminiscences gothiques. Les liaisons entre les différentes parties de la structure sont l’occasion de digressions formelles sur le thème des lignes courbes et tendues qui expriment la transmission des charges du plancher aux piédroits.

Structure apparente et remplissages
Hector Guimard

Les expérimentations sur la structure et sur l’enveloppe nervurée menées par Hector Guimard aboutissent à une solution d’enveloppe définie par les lignes de la structure apparente et par les remplissages. Elle se traduit par des montants en fonte, des poutres de fer et une trame métallique secondaire dont les remplissages sont en plaques de verre et en plaques de lave d’Auvergne émaillées (kiosques et pavillons spéciaux du métropolitain de Paris).

Le structuralisme flamboyant
Anatole de Baudot

Anatole de Baudot met au point un système structurel complexe constitué de planchers ou de dalles courbes en béton d’épaisseur réduite, armés d’une maille métallique serrée, et avec des nervures, toujours en béton armé, reliées à des piédroits en briques creuses armées.
La géométrie de la structure, issue d’une réflexion sur les géométries gothiques, conduit à un développement dans des formes de structuralisme flamboyant.
Baudot s’intéresse à la qualité formelle des surfaces de béton et prévoit de les priver du revêtement céramique en usage de l’époque.

L’enveloppe en quête de vérité
Charles Rennie Mackintosh


Charles Rennie Mackintosh développe une recherche propre de vérité de la structure en s’inspirant de la démarche nostalgique de John Ruskin dans The Seven Lamps of Architecture (1849), se traduisant par un refus des nouvelles techniques constructives et un enracinement dans les procédés du travail artisanal où l’imperfection est la trace de la main du travailleur, et dans une préférence aux matériaux naturels.

Le symbole et la structure
Joseph Maria Olbrich


Joseph Maria Olbrich tire profit des expériences sur le revêtement d’enduit et sur les thèmes décoratifs issus de la culture textile qu’il a réalisées aux côtés de Wagner. Il conjugue l’idée de solidité suggérée par des références au temple égyptien à celle du provisoire que traduit l’utilisation d’éléments précaires typiques des aménagements d’expositions temporaires.
Joseph Maria Olbrich tente d’accentuer la charge symbolique des formes architecturales.

Les valeurs bidimensionnelles de la surface enveloppante
Peter Behrens

Un formalisme singulier pour une enveloppe sublimée

Behrens recherche des valeurs de surfaces bidimensionnelles, dans le droit fil de sa formation de peintre et de graphiste. Il articule la surface en panneaux déterminés pare des lignes qui reprennent les géométries de l’architecture romane à Florence et d’un graphisme linéaire de goût viennois. En 1920, dans une définition de sa propre poétique architecturale, Behrens souligne la solution qui consiste à « isoler les parois et [à] les rendre indépendantes par l’encadrement ».

« L’architecture est une création de volumes, et son but n’est pas de revêtir mais essentiellement de contenir un espace. La ligne n’a pas de consistance. L’architecture existe en tant que volume et consistance ».

« Les nécessités pratiques de l’industrie, comme notre besoin actuel d’air et de lumière, requiert de larges ouvertures. Mais cela ne signifie pas que toute architecture doive produire l’impression d’un squelette mince, rigide, ou d’une trame morne. [...] Mais grâce à une distribution bien calculée de zones d’ombre et de lumière sur la façade, on peut arriver à donner de la consistance à l’édifice et donc on peut aussi suggérer une sensation esthétique de stabilité qui, sans un tel recours, serait refusée au regard, indifférent à la stabilité mathématiquement démontrable de l’édifice. »

L’idée de monumentalité marque l’œuvre de Behrens. Les édifices sont pourvus d’une ossature métallique habillée de pierre. La fragmentation de l’enveloppe correspond à celle des murs internes traités en une série de piédroits. Elle révèle un mur « ordonnancé » à la manière de Schinkel. A une grande liberté dans la distribution et les dimensions des pièces, correspond une grande régularité dans le dessin de l’enveloppe. Dans sa recherche sur les configurations de l’enveloppe, Behrens définit des solutions formalistes singulières. Il sublime l’ordre architectural pour mettre en valeur les travées de l’ossature.

Rythmes graphiques de l’enveloppe
Hans Poelzig


Hans Poelzig continue à développer l’enveloppe nervurée mais en renonçant progressivement à l’accentuation plastique des montants pour aboutir à des rythmes de lignes verticales de valeur graphique qui produisent un effet compact par leur fréquence serrée.

Tensions exprimées de l’enveloppe
Henry van de Velde

L’œuvre de Henry van de Velde, comme celle d’Olbrich, dénote un passage de la ligne décorative graphique à la ligne tendue qui définit des masses architecturales, des masses puissamment modelées et articulées.

Futurisme, constructivisme, De Stijl
La structure à treillis, entre collage et dispositif dynamique

L’enveloppe constructive et typologique
Antonio Sant’Elia


1914, exposition à Milan du groupe Nuove Tendenze. Ses dessins qui montrent des structures massives inclinées avec pylônes et treillis métalliques entretenant des rapports dynamiques, témoignent de l’importance des technologies d’ingénierie de la structure métallique.
Dans les projets présentés pour l’immeuble à gradins avec ascenseurs extérieurs, Sant’Elia met au point l’unité élémentaire reproductible d’un système constructif et typologique dans lequel les travées sont toujours mises en évidence et définissent le caractère formel de l’architecture. Le choix structurel autorise une organisation libre de ses espaces intérieurs et un vitrage continu en façade se substituant à la fenêtre traditionnelle percée dans le mur.

Dans le Manifeste de l’Architecture Futuriste, « le principe de visibilité de la structure est fondateur et s’affirme aussi dans l’importance du renoncement à toute solution de type revêtement, perçue comme un masque de la vérité [...] »

Sant’Elia considère la structure comme le résultat du calcul statique, les principes de construction comme fondement de la nouvelle architecture, la décoration comme non-acceptable à l’exception de la couleur « violente », la définition formelle comme ordonnance de nouveaux matériaux. L’enveloppe architecturale doit se réduire à la visibilité des matériaux et à leur qualité.

« Et je proclame :

–Que l’architecture futuriste est l’architecture du calcul de l’audace effrénée et de la simplicité ; l’architecture du béton armé, du fer, du verre, du carton, de la fibre du textile et de tous ces succédanés du bois, de la pierre et de la brique qui permettent d’obtenir le maximum d’élasticité et de légèreté [....] ;
4. – Que la décoration, vue comme quelque chose que l’on superpose à l’architecture, est une absurdité et que c’est seulement de l’utilisation et de la disposition originale du matériau brut ou nu ou violemment coloré que dépend la valeur décorative de l’architecture futuriste. »

L’enveloppe structurelle constructiviste et les espaces cinétiques

Dans les années 1920, parallèlement aux recherches menées par des entrepreneurs et architectes sur les possibilités d’une ossature à trame régulière, d’autres tendent à explorer les usages virtuels du fer ou béton armé pour des structures à géométrie régulière complexe, traduisant l’idée de dynamique dans des solutions de mouvement réel ou suggéré symbolisé par la spirale. L’idée de dynamisme est fondamentalement nouvelle.
L’idée de mouvement s’accompagne d’une évolution des conceptions structurelles qui va de l’ossature comme répétition de travées uniformes à des structures où les rythmes des éléments constitutifs varient continuellement, induisant une dissolution de la travée jusqu’à se traduire par des figures en forme de spirales.

Les formes articulées cristallines
Bruno Taut

Des architectes comme Bruno Taut s’inspire de la géométrie des cristaux, projetant ainsi des formes architecturales articulées à facettes dont témoigne le monument de fer qu’il réalisa en 1913 à Leipzig, au pavillon de la Stahlwerksverband.

Les formes dynamiques de la spirale
Vladimir Tatline

Le monument de Vladimir Tatline ou l’archétype d’une architecture cinétique
Le projet de V. Tatline pour le monument à la Troisième Internationale, de 1919-1920 est l’archétype d’une architecture cinétique. Le projet se compose de deux éléments fondamentaux, soient deux figures structurelles, le pylône incliné et la spirale, tous deux en treillis. Cet ensemble dynamique, en rotation et en position inclinée devient le modèle des constructivistes
Tatline comme Le Corbusier et d’autres architectes, cherche dans les formes organiques telles que la spirale un modèle pour l’étude de structures à croissance continue.

« Tatline dit que le triangle est la forme qui exprimait le mieux l’idéal statique de la Renaissance, tandis que le dynamisme de notre époque est exprimée par une merveilleuse spirale »

Tatline introduit la figure de la spirale en tant qu’expression symbolique majeure de la cinétique.
Ainsi les constructivistes dépassent la logique statique par un jeu graphique et plastique. Les structures cinétiques, à treillis, sont conçues comme une figure sculpturale constituée de lignes droites ou courbes, à de grands porte-à-faux, dans des compositions dynamiques et abstraites. Les excès formalistes du constructivisme formulés en Union soviétique provoque une vive réaction en Allemagne notamment une la crainte d’une révolution de l’enseignement du Bauhaus. Mies van der Rohe exprime cette préoccupation dans une lettre qu’il adresse à Theo van Doesburg datée de 1923.

« Je le regrette beaucoup, car cela rend très difficile le travail véritablement constructif des artistes. A Weimar on a pu voir combien il est facile de jongler avec des formes constructivistes dès lors que l’on poursuit des buts purement formels ; pour eux la forme est leur but, alors que dans nos travaux elle est le résultat. Je trouve qu’il est important d’établir une séparation nette entre le formalisme constructif et la création véritablement constructive. »

Patterns de l’enveloppe

La composante graphico-plastique de la recherche de d’expressivité des structures à treillis aboutit à des patterns de lignes géométriques qui se libèrent des plans traditionnels, la trame inclinée génère des enveloppes complexes tridimensionnelles (de Buckminster Fuller à Peter Eisenman).

Variations rythmiques de l’enveloppe
comme ossature tramée

Les travaux des architectes qui déclinent des solutions d’ossature tramée par des variations rythmiques de travées répétitives, confirment le rôle décisif de l’ossature dans la définition de l’enveloppe.

Interprétation lyrique de la structure enveloppante
Leonidov
Transparence et solidité

Leonidov, dans son projet de concours pour le siège du commissariat de l’Industrie lourde à Moscou en 1934, décline les différentes formes d’enveloppe qui caractérise l’architecture de son époque.
Une enveloppe nervurée marquée par les lignes de l’ossature,
Une enveloppe continue cachant la structure portante,
Une enveloppe combinant ses deux solutions.

Ce projet se singularise par rapport aux collages de trames typiques des constructivistes du début des années 1920, par une composition rigoureuse qui superpose différentes trames, par sa force de synthèse entre rigueur structuraliste et goût graphique pour les variations, apparaissant ainsi comme un point d’aboutissement de la recherche lancée par Tatline.

Le travail poétique de l’architecte se fonde sur une interprétation lyrique de la structure. Leonidov conjugue l’effet de la transparence avec celui de la solidité de la construction, par la superposition de pavés de verre de grandes dimensions à joints verticaux décalés. Par la transparence, il récupère un certain degré de lisibilité de la structure.

« Il ne suffit pas d’être en théorie seulement favorable à la technique constructive la plus avancée ; il faut savoir en établir une utilisation rationnelle, d’une manière architecturalement juste. L’architecte doit évaluer [....] le caractère propre et les possibilités de chacun des matériaux de construction. [....] L’architecte ne doit pas considérer la technique de construction d’un point de vue strictement constructif, il doit assimiler philosophiquement ses possibilités et créer des formes nouvelles avec le matériau dont il dispose. »

Des nouveaux matériaux aux nouveaux ordres architecturaux

Auguste Perret : ordre et vérité du béton armé
Dualisme entre structure et remplissage

L’idée que la vérité en architecture réside dans la logique constructive traverse toute la culture architecturale française de Philibert de l’Orme à Eugène Viollet-le-Duc. Pour Perret, cette logique s’identifie à celle de l’ossature en béton armé dans ses valeurs fondamentales, la structure portante et les secteurs de remplissage qui ont chacun une expression formelle distincte, soit par un procédé constructif, soit par des valeurs de grain du matériau, de relief, ou de couleur.
Il apparaît deux orientations fondamentales dans les premières expérimentations significatives de la technique du béton armé en France (au-delà de la diversité des systèmes constructifs adoptés). L’une tend à affirmer la valeur de continuité de la paroi sans mettre en évidence la trame en béton armé.
L’autre expérimente diverses solutions d’articulation entre structure et remplissage.

L’œuvre d’Auguste Perret exprime ce dualisme entre structure et remplissage.

« Notre Musée, écrit-il, serait donc en pan de béton armé, c’est-à-dire qu’il serait fait de poteaux largement espacés qui supporteraient des poutres et des dalles ; c’est l’ensemble de ce système que nous appelons ossature. [...] De même que le squelette rythmé, équilibré, symétrique de l’animal contient et supporte les organes les plus divers et les plus diversement placés. De même, l’ossature de notre édifice devra être composée, rythmée, équilibrée, symétrique même, et elle devra pouvoir contenir les organes les plus divers exigés par le programme. [...] C’est là la base même de l’architecture. Si la structure n’est pas digne de rester apparente, l’architecte a mal rempli sa mission. [...] Les matériaux de revêtement et de remplissage devront compléter l’ossature, mais sans la dissimuler, il faut que se montre une poutre là où il y a une poutre, et un poteau là où il y a un poteau. [...] Ces dispositions éviteront bien des surprises désagréables le jour où, par suite de dilatation, retrait, tassement, les parties portantes affirmeront leur présence. »

A la fin des années 1920 et au début des années 1930, les architectures de Perret font prévaloir la thématique du rapport structure remplissage et sa recherche se concentre de plus en plus sur l’expressivité de matériaux différents utilisés ensemble, chacun montré dans la spécificité de ses propres valeurs. L’ossature apparente en béton armé devient l’élément principal de la caractérisation formelle. En 1926, Perret théorise l’usage exclusif de la fenêtre verticale.
Les secteurs de remplissage sont constitués de triples parois (un panneau de béton armé à l’extérieur et deux cloisons en carreaux de plâtre à l’intérieur) qui assurent aux espaces une parfaite isolation thermique et acoustique. Les panneaux de béton armé sont reliés entre eux par des armatures métalliques.
Perret joue savamment les thèmes de l’enfilade, de séquences de perspectives transversales et de structures en forme de fût de colonnes. La structure portante verticale se ramifie en passant des étages inférieurs destinés à des activités professionnelles à ceux réservés à l’habitation, pour éviter la présence, dans les appartements, de piédroits dans l’axe de la perspective de l’enfilade principale.
Les idées du permanent et du transitoire se reflètent dans le rapport entre la structure principale, dessinée de façon à constituer les lignes premières fixes, de références, de la composition formelle, et les secteurs de remplissage et les ouvertures qui, susceptibles de varier en nombre et en dimensions d’une travée à l’autre, s’adaptent librement aux différentes fonctions des locaux. L’ordre secondaire est introduit précisément pour pouvoir réintégrer dans la rigueur d’un système syntaxique les lignes correspondant à des partitions internes variables.
Perret définit ainsi la complexité de la structure en béton armé :

« Une des qualités de la construction en béton armé est son monolithisme, mais ce monolithisme ne présente pas que des avantages ; l’impossibilité de couler d’un seul coup le bâtiment, les multiples opérations nécessaires produisent des tensions. Ces tensions [...] produisent des fissures qui défigurent le bâtiment. Dans le but de les éviter, nous avons fractionné l’édifice. La grande colonnade monte d’un seul jet jusque la couverture formant ainsi un haut portique – sous ce portique et indépendamment du premier, un second portique supporte le plancher intermédiaire. »

La colonne en béton armé apparent, finement dessinée, travaillée de façon à lui donner l’apparence d’un monolithe de pierre, devient le paradigme capable de résumer la complexité de la poétique de Perret.
La forme du fût de la colonne évoque la métaphore de l’arbre chère à Perret.

« Ce qui fait la solidité du béton de ciment armé, c’est [...] outre sa résistance propre, le monolithisme de l’ossature, monolithisme où toutes les pièces sont encastrées les unes aux autres, et c’est pour examiner cet encastrement que nous avons été conduits à faire nos points d’appui plus gros en haut qu’en bas, à l’inverse de ce qui se faisait jusqu’à présent pour les colonnes. Nous avons hésité longtemps avant d’oser cette forme et c’est en Egypte, l’aspect d’un groupe de palmiers dont les troncs lisses et nus s’élançaient du sol jusqu’à leurs palmes, à plus de vingt mètre de hauteur, en grossissant toujours, qui nous a décidés. »

Du « plan libre » à la « façade libre »
Le Corbusier

Pour le projet de la maison Dom-ino, Le Corbusier étudie « un système de structure – ossature – complètement indépendant des fonctions du plan de la maison : une ossature porte simplement les planchers et les escaliers. »
La structure en béton armé est ce qui rend possible cette idée d’un organisme architectural unitaire et multiple, qui se prête à la préfabrication comme à l’artisanat. Même si le raisonnement de le Corbusier part de l’impératif de vérité et de visibilité déclaré et professé par Perret, il s’en détache en prenant des marges de liberté.
La conception de la maison Dom-ino prévoit les potentialités de l’ossature en tant que tracé structurel de nouveaux organismes architecturaux et urbains, mais aussi la négation de l’ossature en tant qu’élément résolutif de la forme architecturale. Le système Dom-ino indique clairement l’articulation en deux réalités distinctes : le plan et la structure en béton armé. Comme dans le modèle théorique de la cabane primitive idéale discuté dans les traités d’architecture, l’ossature Dom-ino assure seulement l’abri, la couverture d’un espace protégé par des parois qui interviennent dans un second temps. L’ossature Dom-ino disparaît au moment de la construction des murs, car les piédroits sont englobés soit dans l’enveloppe soit dans l’aménagement intérieur.
Se heurtant à de grandes difficultés de synthèse d’ossature et d’espace dans une confrontation gagnée d’avance avec l’enveloppe, Le Corbusier abandonne tout rigorisme quant au programme, qu’il s’agisse du rigorisme perretien ou celui de l’ossature Dom-ino, pour expérimenter des articulations d’espaces plus libres qui l’amènent à une utilisation instrumentale de la structure en béton armé : celle-ci apparaît désormais fragmentée et non plus comme un système organique, justement pour mieux laisser cours à cette libre expression de l’idée d’espace. Le Corbusier étudie une série de types architecturaux – « l’immeuble-villas », l’ « édifice à redans », le « gratte-ciel cruciforme » - conçus comme une application de la structure en béton armé.
Le Corbusier refuse l’expression de la structure comme solution de caractérisation formelle de l’enveloppe architecturale. Il adhère à la logique du béton armé à maille régulière qui se traduit par des architectures suivant une logique géométrique et se présentant comme des prismes parfaits.
La technique du béton armé reste un simple préalable dans une conception où la structure est pensée indépendamment des considérations de rapport avec les partitions configurant le « plan libre ». Les espaces intérieurs s’organisent en spatialités continues à chaque niveau de plancher, le long de parcours complexes qui conservent un certain degré d’autonomie.
Si Wright, pour obtenir une spatialité complexe et continue, parvient à articuler et dissoudre l’enveloppe et à distribuer les pièces le long de parcours de vues, Le Corbusier obtient le même résultat mais à l’intérieur d’une enveloppe parfaitement définie, puriste et palladienne. Les termes de structure et d’espace sont, de nouveau, partiellement dissociés, chacun pouvant répondre à sa propre logique.
Le Corbusier va d’une idée d’enveloppe en rapport avec la structure à celle d’une enveloppe indifférente (façade libre). La fenêtre horizontale continue, requise pour obtenir un rapport particulier entre l’intérieur et l’extérieur (le paysage), ainsi qu’une luminosité calculée, ne devient possible que par l’adjonction à l’ossature élémentaire en béton armé de tirants et de poutres, en béton armé aussi, ancrés au planché supérieur de façon à réaliser une grille à remplissages d’enduit qui constitue une architrave continue.
En 1929, Le Corbusier propose une classification, en quatre types, du rapport entre espace, structure en béton armé, et enveloppe (qu’il a sondé dans ses réalisations du début des années 1920).
De 1924 à 1927 s’opère le tournant le plus important et fondamental dans l’évolution de l’esthétique puriste, qui tient au choix théorique résolu de l’indépendance entre structure portante et enveloppe. Le « nouveau code » constitue la prémisse directe du programme des « Cinq points d’une architecture nouvelle ». Ces axiomes sont publiés par un certain Alfred Roth :

« 1. Les pilotis. » Partie portante d’une maison permettant de s’extraire du sol, de récupérer entièrement le terrain à bâtir et de laisser passer le jardin sous la maison.

« 2. Les toits-jardins. » Surface de terrain supplémentaire, jardin aérien créé pour retenir l’eau sur le béton armé de la toiture le protégeant de la dilatation.

« 3. Le plan libre. » Prolongement des pilotis jusqu’en toiture, disparition du mur porteur, cloisonnement libre d’un plancher à l’autre. (liberté du plan et économie).

« 4. La fenêtre en longueur. » Ouvertures libres et continues suivant la course du soleil.

« 5. La façade libre. » Façade libérée de sa fonction portante.

Ces cinq points ont une réaction esthétique fondamentale.

Avec la définition du plan libre, Le Corbusier cerne clairement le thème central de l’architecture contemporaine. Le principe du plan libre consiste en une trame de poteaux faisant disparaître les murs et portant des planchers lisses, sans nervure apparente permettant de construire à chaque étage des cloisonnements entièrement libres, sans être superposés les uns aux autres.
Ainsi le plan libre permet à le Corbusier de libérer la façade, d’où son concept de façade libre qu’il développe pour arriver à la solution d’une enveloppe entièrement vitrée, le pan de verre, dont Mies van der Rohe avait déjà démontré la possibilité comme conséquence logique de la structure à poteaux en retrait derrière l’enveloppe (dans son projet de gratte-ciel à Berlin en 1921-1922). Le Corbusier se présente comme l’apôtre de la tendance de l’époque au mur-rideau.
« L’architecture, c’est des planchers éclairés. »

Les enveloppes architecturales – mur-rideau sous forme de vitrages ou de parois recouvertes de pierres volcaniques – sont constituées de deux membranes et d’un interstice (dispositif défini par Le Corbusier comme « mur neutralisant ») à l’intérieur duquel circule l’air conditionné.
Pour le pavillon de L’Esprit Nouveau à l’Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 à Paris, Le Corbusier projette des casiers. Le casier a des mesures modulaires, il ne ferme pas l’espace comme un mur, il se pose plutôt comme une cloison-filtre. Il définit et organise les divers espaces d’un intérieur en les distinguant.

« Le meuble ici ne vient pas ajouter son architecture possible à une architecture déjà arrêtée. Il fait architecture. »

Avec le déclin de la phase puriste, au début des années 1930, Le Corbusier abandonne l’idée d’enveloppe enduite et polie, aussi du fait de sa fragilité, et adopte des plaques de pierre artificielle disposées de façon à créer un graphisme indépendant de la structure, ou bien des parois en béton, en briques, ou en pierre apparentes. La structure en béton armé, là où elle reste visible, ne présente plus les minces épaisseurs (calculées sur la capacité de résistance) mais prend de plus en plus de consistance plastique. L’enveloppe continue de renfermer et de dissimuler la structure métallique.
La façade libre cesse d’être un mince écran et gagne de la profondeur grâce à les solutions de loggias ou de brise-soleil au dessin toujours plus élaboré. Cette idée d’une enveloppe ou de « mur creux », dotée d’une épaisseur capable de filtrer la lumière ou accueillir de véritables espaces, sera poussée jusqu’au bout, dans les mêmes années, par Louis Kahn.

Indépendance entre « peau et ossature »
Ludwig Mies van der Rohe

Au début des années 1920, Mies van der Rohe explore différentes possibilités d’indépendance entre trame structurelle et enveloppe, entre « peau et ossature ».
Il étudie les deux principales solutions d’enveloppe qu’autorise l’ossature en retrait derrière la façade : le mur-rideau et l’enveloppe alternant bandes horizontales pleines et bandes vitrées.
Mies van der Rohe, à l’instar de Le Corbusier, ne conçoit pas la structure en béton armé dans sa seule capacité à résoudre la fonction portante. De fait les bandes horizontales pleines font partie de la structure, elles sont comme il l’explique lui-même, « le plancher qui remonte verticalement à l’extrémité des porte-à-faux, formant ainsi l’enveloppe extérieure ».

La valeur d’enveloppe non portante de la paroi est révélée par les longues ouvertures en fente, à la base des volumes, qui continuent même sur les arêtes. Le plan s’articule librement autour de l’idée d’un dynamique de rotation à réminiscence wrightiennne.

La Galerie nationale d’art de Berlin (1962-1968) confirme la tendance miessienne à résoudre les conflits entre espace, structure et enveloppe, surgis dans le pavillon de Barcelone, par une monumentalisation de la structure. Un pavillon monumental et transparent, à plan carré, se dresse sur un podium revêtu de plaques de pierre.
La structure en acier se compose de huit piliers cruciformes, amincis vers le haut et terminés par une grande charnière, qui portent une couverture structurée de poutres croisées apparentes. A la géométrie réglée par la structure de la couverture sont subordonnés la position des piliers et le dessin des châssis métalliques de l’enveloppe de verre. L’enveloppe vitrée est en retrait par rapport aux structures verticales qui imposent la force de leur présence hiératique, comme les éléments d’un organisme périptère ; La galerie est le portique d’un temple à plan carré. Or l’extrême perfection de la structure et la recherche du caractère absolu et universel de l’architecture, se heurtent aux nécessités humaines d’individualisation des espaces et de qualité de lumière.

International Style et New traditionalism
Dissolution du mur et ossature de verre de Walter Gropius

Au début du XXème siècle, les bâtiments industriels, condamnés par Karl Friedrich Schinkel, traités de « öhne Architektur » [dénués d’architecture], deviennent les modèles d’une nouvelle architecture. Ils représentent la plus haute expression de la dissolution du mur de maçonnerie en une enveloppe définie par le rapport entre surface vitrée et ossature.
Gropius a hérité de Behrens son goût pour la monumentalité. Aussi est-il partagé entre la volonté d’assumer la structure comme élément de définition d’une nouvelle monumentalité et le désir de privilégier les valeurs formelles et plastiques de l’enveloppe, affranchie des liens avec la structure.
Gropius fut l’un des premier en Allemagne à explorer le thème de la façade vitrée, à adopter (lorsqu’il voit la nécessité d’une caractérisation monumentale de l’architecture) la bande vitrée continue, mise à distance de la structure, se présentant comme une portion de mur-rideau.
Ainsi Gropius veut tirer de l’architecture industrielle une conception de la structure comme fondement de nouveaux principes de composition formelle et du rapport structure-enveloppe. La structure est en retrait et l’enveloppe devient une surface de verre continue. La visibilité de la structure prend une valeur complexe. Visible à l’intérieur, elle se manifeste à l’extérieur par des châssis ou se révèle par transparence derrière le verre. L’enveloppe qui n’est pas indifférente à la structure ne se comporte pas totalement comme un mur-rideau, elle reproduit la scansion en travées tout en étant continue, exaltant sa légèreté jusqu’à l’apesanteur par sa position en retrait.

Hilberseimer privilégie un dessin d’enveloppe modulé par des ouvertures découpées selon des exigences fonctionnelles et des valeurs symboliques même lorsque la structure n’est pas en retrait.


Erich Mendelsohn et le formalisme des bandes horizontales
Un rapport difficile entre surface murale et ossature

L’enveloppe se présente comme une série de bandes horizontales continues alternativement pleines ou vitrées.
La stratification de bandes horizontales pleines et vitrées n’intéresse pas Mendelsohn en tant que résultat expressif logique de la structure en porte-à-faux, mais pour la valeur formelle que cette structure a prise comme figure de style emblématique de l’architecture internationale.

Une dialectique entre fonction, structure et enveloppe
Alvar Aalto

Dès 1927, l’architecte finlandais Alvar Aalto (1898-1976) devient l’un des plus grands architectes de l’avant-garde fonctionnaliste.

« La construction se plie à la grille préconçue de la trame orthogonale de l’ossature en béton. »

« L’élévation offre au passant une façade codifiée suivant les canons modernistes : surfaces planes et lisses, fenêtres en longueur, toit-terrasse. »

Les œuvres d’Alvar Aalto qui « imitent » le nouveau fonctionnalisme, révèlent de nombreuses distorsions aux règles dogmatiques de composition du plan imposées par les théoriciens du mouvement moderne (rupture, désaxement, exception à la règle apparente). A. Aalto redéfinit dans une version humaniste et organique, la notion du plan libre, chère à Le Corbusier. Il condamne la voie où s’est engagée l’architecture européenne entre le début du XXème siècle et les années 1930. Il réagit face à l’uniformisation à laquelle aboutit l’emploi de la trame orthogonale et y oppose une composition par agglutination. Sa méthode de travail adogmatique, consiste selon le programme, à hiérarchiser les besoins et définir les volumes correspondants. Il en résulte un plan complexe juxtaposant différentes cellules adaptées aux fonctions qu’elles abritent.
Dans les projets d’A. Aalto, les éléments du programme se juxtaposent les uns aux autres sans aucune continuité spatiale. Chaque salle, chaque escalier, chaque pièce a sa propre forme, régulière ou non, et s’agglutine aux autres cellules. Aucune axialité, aucune réciprocité formelle, ne vient créer d’ordonnances ou de symétrie factices. Verticalement, la discontinuité est totale. Chaque niveau semble posséder sa propre indépendance formelle et structurelle. De vastes zones de dégagement, espaces tampons entre ces cellules autonomes, assurent la cohésion de l’ensemble. Le traitement de la lumière et de l’enveloppe elle-même, renforce l’harmonie de l’édifice.
Dans ses projets, A. Aalto ne cherche pas une continuité spatiale ente intérieur et extérieur, s’écartant ici du couple organique architecture-nature, défendu par Franck Lloyd Wright. Le mur périphérique enveloppe l’édifice comme un vêtement où les fenêtres n’ont pas toujours place, sinon en hauteur comme source de lumière. Les fenêtres à hauteur d’homme sont souvent dissimulées derrière un écran composé d’éléments verticaux et parallèles qui ménagent au promeneur des séquences de vue au cours des déplacements, modulent la pénétration de la lumière suivant la rotation du soleil. A l’extérieur, l’écran s’inscrit généralement dans la continuité de la décoration murale pour laquelle l’architecture affectionne tout particulièrement le traitement en bandes verticales où alternent les couches de couleurs et de matériaux différents.
Ainsi la forme, qui est qualifiée par une structure fondamentale en béton armé, reste subordonnée à l’expression des diverses fonctions des différents corps de bâtiment.
La dialectique entre fonction et structure donne lieu à une série de variantes de types structurels et de dessins de l’enveloppe. Même si elle est exprimée, la structure est tout de même revêtue d’enduit.
La structure en retrait est interprétée comme une possibilité de réaliser une enveloppe en forme de « façade libre », coupée par d’étroites fenêtres horizontales continues. Diverses solutions de rapport entre structure et enveloppe se combinent, en partie dictées par la diversité des fonctions aux différents étages : les montants sont tantôt absorbés dans la continuité de la surface enduite, tantôt apparents dans la scansion d’un vitrage continu qui passe sur les angles, tantôt isolés dans le vide pour scander des loggias.
La recherche de la vérité de la structure est sublimée dans une recherche de valeurs de rythme et de dessin de la façade, laquelle peut aussi comporter un mensonge.

L’enveloppant intérieur neutralisé au profit
d’un enveloppé transformable


L’idée de flexibilité investit désormais la caractérisation spatiale elle-même. La paroi à laquelle on attribue une fonction devient objet et peut se déplacer.

La Maison de verre de Pierre Chareau et Eileen Gray

Pierre Chareau et Eileen Gray étendent le principe de la mobilité du meuble à l’architecture intérieure, avec des parois coulissantes ou des éléments articulés en éventail.
L’ossature de fer de la Maison de verre ne définit pas une scansion régulière de travées, mais répond exclusivement à une recherche de liberté maximale dans l’articulation spatiale. Dans cette œuvre, le plan libre est interprété comme une solution offrant des possibilités de transformation graduelle, puisque son organisation s’en remet non à des cloisons mais à des panneaux vitrés mobiles, à des rideaux coulissants et à des « meubles mobiles ».
Le plan n’intègre aucun élément portant. La structure est placée à l’extérieur de l’enveloppe et se présente comme un treillis métallique apparent.

La maison suspendue (1936-1938) de Paul Nelson

Dans le projet idéale de la maison suspendue (1936-1938) de Paul Nelson, ce dernier décline les thématiques de la mobilité sous la forme d’une spatialité antigravitationnelle douée d’une flexibilité maximale et donc capable d’offrir des variations physiques et psychologiques à la limite du surréalisme.

« La construction générale de la maison, consiste en une construction extérieure, rigide, à laquelle sont suspendue les pièces intérieures. C’est le principe de suspension des pièces qui permet de trouver à l’intérieur une liberté absolue et un maximum de flexibilité de distribution, puisqu’il n’y a plus de colonnes, mais seulement des espaces libres dans lesquels évoluent des volumes et des courbes. »

« The International style » des années 1930
L’enveloppe autonome ou englobante
Un enveloppant, des enveloppés

Le nouveau style se caractérise par une structure à « squelette », une géométrie et une régularité de l’enveloppe, et une autonomie de l’organisation spatiale interne. L’idée de structure qui émerge est un mécanisme affranchi de l’organisation de l’espace et qui s’impose comme abstrait et autonome.

« Ainsi le bâtiment est comme un bateau ou un parapluie, avec à l’intérieur une armature solide et à l’extérieur une enveloppe continue. »

Distincte de la structure à ossature, l’enveloppe est définie aussi comme des « murs écrans [screen walls] placés à une certaine distance à l’extérieur des supports » et en légère saillie. Le dessin de l’enveloppe doit exprimer les nouvelles valeurs de la structure et du plan, en respectant aussi quelques principes d’ordre formel dans le choix des matériaux et dans leur mise en œuvre.
Les constructions à squelette enveloppées d’un écran protecteur sont dans leur réalité, et par les effets qu’ils produisent, de simples surfaces planes enserrant un volume. Leurs surfaces donnent l’impression d’être ininterrompues, comme une peau tendue sur l’ossature porteuse, comme un tissu étiré.
Cette idée de l’enveloppe comme peau ou écran implique la disparition du concept de la fenêtre comme percement dans le mur. Les surfaces vitrées dont les dimensions ne sont plus soumises à des contraintes d’ordre constructif, peuvent être illimitées jusqu’à couvrir le volume entier.

L’enveloppe sculpturale
Giuseppe Terragni


Terragni revoie les principes théoriques et les solutions formelles de l’architecture du Style International et ouvre une dialectique vivante entre structure à ossature tramée et paroi continue.
Par le dessin de l’enveloppe, par l’accentuation des surfaces nues, par l’absence de tout couronnement, Terragni interprète le principe de la façade libre. Tandis que pour le Corbusier, ce principe est une conséquence logique de la mise en retrait de la structure en béton armé, Terragni, ramène la structure sur le plan de la façade, en instaurant une dialectique à la Berlage entre structure et enveloppe, dont toutes les variantes possibles dans le rapport entre lignes de l’ossature, remplissages et paroi continue sont explorées.
Terragni arrive à une enveloppe continue comme une paroi qui en même temps exprime l’ossature tramée.
Un processus d’épuration des détails manifeste la logique du renforcement de la valeur de la structure en tant que matrice des lignes de la composition.
Pour Terragni, l’ossature est riche d’implications poétiques, elle génère des rythmes et des géométries abstraites, comme c’était le cas pour les constructivistes soviétiques. Mais dans son œuvre elle se conjugue aussi avec les valeurs de la surface murale, elle se donne comme sculpture, allant même jusqu’à assumer des valeurs symboliques.

L’enveloppe « creuse »
Louis Kahn


A partir des années 1950, Kahn développe les principes du Style International renouvelant profondément la relation entre espace, structure et enveloppe pour répondre aux problématiques posées par des installations techniques toujours plus envahissantes et à la nécessité d’une meilleure qualité de lumière naturelle, mieux dosée qu’avec les murs-rideaux et les brise-soleil.

Les architectures du passé sont pour Kahn, une leçon et non l’expression d’une nostalgie.
« Les colonnes en tant que volumes, délimitent des espaces de lumière. Inversons maintenant les termes du problème et imaginons que les colonnes soient creuses et beaucoup plus grandes, et que leurs surfaces puissent à leur tour donner de la lumière : dans ce cas, les vides deviendront pièces, la colonne devient l’élément porteur de lumière, elle peut prendre des formes complexes, être le support des espaces et leur apporter de la lumière. »

Kahn reprend l’idée d’Alberti d’une relation dialectique entre mur et colonne.

« Ces ordres de Colonnes ne sont autre chose qu’un mur ouvert et fendu en plusieurs endroits. »

Kahn interprète cette idée comme une fragmentation du mur produite par des fentes toute hauteur.

« Réfléchir sur le grand évènement de l’architecture, lorsque les murs se sont divisés et que sont apparues les colonnes. »

Wright était également arrivé à des formes d’enveloppe similaires (dans la Richard Lloyd Jones House) mais en passant par une réflexion sur la forme de la fenêtre dans des constructions réalisées en blocs de béton et selon des critères d’appareillage du système textile-block. La fragmentation du mur ne fait abstraction des logiques constructives et tectonique que chez Kahn, qui l’utilise pour obtenir des rythmes alternés d’ombre et de lumière.

« L’édifice se développe à partir de l’ouverture du mur. »

« La lumière est l’espace entre les colonnes. »

« La peau d’une tour est considérée en général comme une enveloppe qui n’a aucune part à la conception structurelle de l’édifice. La façade est le résultat de la structure, capable d’exclure ou de recevoir les rayons du soleil ou de se dresser en bastion contre la force du vent ; elle devient ainsi partie intégrante de la conception et contribue au développement d’un ordre constructif de plus haut niveau. »

Dans toutes les enveloppes, la vérité des matériaux, laissés apparents, s’impose avec la rigueur théorique. La conception de l’enveloppe architecturale chez Kahn, exclut le revêtement, révélant le fil conducteur de la pensée constructive française.
La redécouverte par Kahn de la profondeur de l’enveloppe est la conséquence d’une réflexion qui investit aussi bien la qualité de la lumière et le dessin d’éléments pour en obtenir une modulation particulière que la qualité de l’espace intérieur et le dessin d’un mobilier nouvellement conçu comme une part disparu des murs. Il obtient ainsi une délimitation spatiale intégrée d’enveloppe-structure-ouverture-mobilier. De cette épaisseur murale, Kahn reproduit ce que cette épaisseur contenait. Les ouvertures deviennent des entailles pratiquées dans l’enveloppe pour obtenir à l’intérieur des vues et des qualités de lumière calculées, avec des solutions « informes », dans la ligne théorique de Loos.
Kahn reconsidère la présence du mur en architecture, envisagé aussi bien dans ses valeurs de clôture monumentale de l’espace que dans son aspect tectonique grâce à l’usage de la brique.

« Puisqu’un mur présente un visage différent à l’intérieur et à l’extérieur [...] nous sommes arrivés au point où cette claire perception peut permettre la dissociation du mur intérieur par rapport au mur extérieur [...] et générer entre eux un espace qui peut être parcouru, ce qui ne saurait être réalisé avec un mur de pierre massif. »

Ainsi dans son idée de transformation du mur en une structure, Kahn distingue deux enveloppes séparées d’un large vide.

L’œuvre de Kahn est centrée sur la valeur et l’amplification du vide dans la construction pour obtenir des formes puissantes. Son architecture peut être considérée comme l’aboutissement extrême de la distinction discutée par Carl Bötticher et par Gottfried Semper entre une Kunstform et une Kernform dans le mur, et de la solution de cette articulation dans la Hohlkonstruktion, ou construction creuse, préconisée par Semper : c’est ainsi que des systèmes constructifs fondés sur des membranes et des éléments fins et légers peuvent retrouver les formes monumentales typiques des techniques constructives de la maçonnerie.

« J’ai fait du mur un contenant au lieu d’un solide. »

Kahn développe les potentialités de la structure de maçonnerie à double enveloppe entrecoupée d’un vide. Cette double enveloppe creuse capte les brises, crée des ombres intenses, protège les fenêtres des rayons du soleil. Entre les enveloppes, Kahn obtient des vides destinés à des services, des puits de lumière et des cheminées de ventilation.

Entre ordre et fragmentation
L’enveloppe-ossature comme trame appliquée

De même que la colonne et l’entablement étaient devenus dès l’Antiquité des simulacres du système trilithe appliqués au mur, l’ossature devient une trame appliquée, un motif décoratif graphique à valeur plastique. Les solutions de façades à grille se réduisent à la banalisation de schémas de grille.
Le rôle de la structure dans la définition de la forme architecturale donne lieu à des interprétations diverses, avec des solutions qui vont de la monumentalisation à la dissolution de l’ordre géométrique.
La structure à ossature d’acier ou de béton armé est organisée en un maillage régulier qui hiérarchise les lignes de la travée afin de dépasser le mur-rideau. (Skidmore, Owings et Merrill) ; elle se fait pylône ou massif pilier monumental, monument permanent dans un paysage métropolitain informe et changeant, elle va jusqu’à retrouver les valeurs tectoniques de la paroi continue (Kevin Roche et John Dinkeloo, Philip Johnson, Kenzo Tange, Rob Krier, José Rafael Moneo) ; elle devient un élément essential mais réactif à d’autres éléments, elle renvoie finalement à l’image de la paroi continue percée d’ouvertures. (Oswald Mathias Ungers, Aldo Rossi, Giorgio Grassi) ; elle est exaltée en tant que mécanisme à échelle monumentale (Norman Foster, Richard Rogers et Renzo Piano) ; elle se réduit à des fragments traités sur le registre plastique ou graphique, assemblés en géométries irrégulières (Richard Meier, Peter Eisenman, Rem Koolhaas, Bernard Tschumi, Behnisch & Partner).
C’est à partir de la poétique miesienne que se développe une recherche d’expressivité cohérente de la grille structurale qui assume les lignes diagonales du contreventement, qui s’enrichit de lignes verticales articulant la répétition régulière de la travée.
Les formes gothiques et cristallines constituent des amorces pour les recherches sur des configurations structurelles organiques.
L’idée de plan libre s’affranchit des implications de la structure à ossature et adopte des accents fonctionnels et sociaux pour se fondre dans les thématiques de l’ « espace plurifonctionnel ».
L’idée de continuité de l’enveloppe maçonnée et la géométrie puissante de la composition convergent dans une démarche culturelle visant à réintégrer l’histoire. Cela aboutit à des excès décoratifs de surface, à la récupération d’archétypes formels issus de l’Antiquité, du Style International ou des architectures vernaculaires.
L’intégration de l’ordre de la structure et de l’ordre des installations techniques donne lieu à des développements cohérents.

Le formalisme des années 1980
L’enveloppe comme idéogramme

A partir des années 1980, s’amorce un certain formalisme dans le dessin de l’enveloppe. C’est à travers une œuvre de Mies van der Rohe, son second projet de gratte-ciel qu’il déclare paradoxalement d’un antiformalisme, que l’on voit apparaître une structure cohérente pour un volume librement dessiné, dissolvant les rigides géométries constructives de l’ossature. Une nouvelle démarche conceptuelle basée sur l’enveloppe qui impose sa configuration tend à développer des ossatures métalliques complexes.
L’enveloppe est dès lors modelée sans la rigueur constructive qui soutenait les ondulations des parois vitrées de Mies van der Rohe. Depuis ce début de siècle, les concepteurs tentent d’échapper à la confrontation avec les ordres constructifs des « traditions contemporaines ». Leur recherche formelle basée sur l’enveloppe investit notamment la structure. Ils redécouvrent le goût pour les collages de rythmes structurels différenciés (étudiés par les constructivistes soviétiques) et la dissolution totale de l’ordre structural. La structure est fragmentée est ses éléments sont inutilement multipliés pour créer des effets de lignes graphiques inclinées ou entrecroisées.
Désormais ce que préfiguraient les avant-gardistes des années 1920, se réalise.
Les façades se dotent de trames régulières à maille géométrique en relief. Cette trame n’est pas structurelle, elle est un idéogramme monumental de l’ossature.

Le constructivisme renaissant des années 1990
Une enveloppe déstructurée et fragmentée

Dans les années 1990, s’amorce un processus de déstructuration et de fragmentation de la grille structurelle puisant ses sources dans la poétique De Stijl et du constructivisme soviétique. C’est à travers l’œuvre de Peter Eisenman que l’on observe un renoncement à la rigueur d’une matrice (à la manière de l’architecture de Terragni). Elle cesse d’exprimer des géométries structurelles régulières pour se traduire en volumétries discontinues et penchées afin de représenter ce qu’il définit comme la « vérité de l’instabilité ».

Frank Owen Gehry

Frank Owen Gehry expérimente l’enveloppe par des jeux de contrastes et d’accords de textures de matériaux (usant de la feuille de métal, de la plaque de pierre, de la brique et de l’enduit). Pour le musée Guggenheim de Bilbao (1991-1997), les feuilles métalliques ou les plaques de pierre, de forme rectangulaire, sont souvent assemblées de manière à produire une trame de lignes décalées, pour en faire comprendre la nature non tectonique. Sur les arrêtes des volumes, elles donnent l’impression d’être pliées à l’angle (alors qu’en réalité, il existe un joint, rendu le plus imperceptible possible) afin de créer l’effet d’une enveloppe qui s’enroule. L’opacité, la couleur de l’enduit et des briques exaltent par contraste au froid brillant des feuilles de métal. Par ailleurs, la feuille de métal révèle son potentiel de force monumentale qui ne le cède en rien à l’appareillage de pierre.

Les maquettes des projets de Gehry, semblent préfigurer une paroi métallique sans plus de sutures, infléchie, brillante et polie, obtenue avec des procédés de fusion, en faisant abstraction de tout raisonnement cohérent sur les relations entre espace, structure à ossature, enveloppe et revêtement.

Dans les années 1990, certains architectes se concentrent sur la qualité de l’enveloppe architecturale en remettant en cause les concepts et les formes de mur-rideau, de brise-soleil, de mur, de revêtement, d’ornement. Le bâtiment est comme enveloppé, mais cette enveloppe, qui tient pourtant fondamentalement du brise-soleil dans sa fonction d’écran solaire, possède certains attributs formels du revêtement, l’ornement, bien qu’elle soit détachée de la paroi qui se trouve derrière, et certains attributs du mur-rideau, son indifférence à la structure enveloppée, quoique derrière elle se trouve souvent une façade conventionnelle avec des fenêtres.

Cependant, dans cette forme d’enveloppe, le calcul de la modulation de la lumière, des vues ou de l’ombre (que prisaient le Corbusier et Kahn), se perd au profit de l’aspiration artistique et du souci des effets ornementaux.
Dans certaines solutions d’enveloppes, on retrouve des procédés similaires à des structures servant de support à des panneaux publicitaires appliquées sur la façade. L’enveloppe de verre transparente récupère des valeurs graphiques en se transformant, par l’utilisation de la sérigraphie et d’autres techniques de traitement de verre, en une nouvelle paroi à sgraffites (réactualisant les principes sempériens et les expériences wagneriennes).

Herzog & De Meuron et Jean Nouvel

Des architectes comme Herzog & De Meuron ou Jean Nouvel réinterprètent les volets traditionnels à lames étroites pliantes en soufflet qu’ils substituent aux abstraits brise-soleil, ayant recours à une seconde peau entourant les façades existantes.

Herzog & De Meuron recherchent des effets formels résultant de combinaisons du mur-rideau conçu selon le « Prinzip der Bekleidung » ainsi qu’une vérité de la structure et des matériaux. Un mur-rideau d’inspiration wagnérienne résultant de l’utilisation de décorations sérigraphiées sur des panneaux de verre. Une enveloppe continue constituée de bandes de cuivre, par analogie aux lamelles de bois qui habillent les parois d’un chalet suisse. Le traitement raffiné des parois transforme l’enveloppe en surface picturale. La sophistication de leurs œuvres conduit l’architecture à s’assimiler comme meuble et à tomber dans la facilité d’un dévoiement décoratif. L’image du mur est évoquée comme une solution de revêtement qui révèle sa propre nature non tectonique.

Jean Nouvel poursuit une idée de l’architecture, comme expression de technologies avancées, mais la structure est en retrait. C’est l’enveloppe continue, dessinée avec raffinement et dans une perfection des détails graphiques, qui caractérise l’édifice. Dans le siège de la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris (1991-1994), la structure métallique est monumentalisée, comme un rideau détaché de l’édifice, un très haut mur d’enceinte en verre.

Technique et architecture

Comme on l’a vu précédemment, c’est à partir de la révolution industrielle que se tissent des liens étroits entre architecture et technique (industrie) dont témoignent l’essor de la construction métallique et l’utilisation massive d’éléments décoratifs produits en série. La discipline architecturale se rapproche de la production manufacturière et s’écarte peu à peu de l’esprit scientique de son temps. La construction constitue l’un des terrains d’application de la résistance des matériaux et de la théorie mathématique de l’élasticité sur laquelle elle repose en grande partie. Cette théorie est née des efforts conjugués de savants et d’ingénieurs tels que Navier, Cauchy, Poisson ou Lamé. Elle permet de dimensionner les structures sans véritable dialogue avec la conception architecturale.

« En Dépit des prétentions à l’universalité affichées par Viollet-le-Duc, Semper et leurs héritiers, l’architecture se range durablement du côté des Beaux-arts, ce supplément d’âme de la société industrielle parvenue à maturité » .

Au XXème siècle, la diversification des techniques qui s’est amorcée avec la Révolution industrielle s’intensifie. Cette diversification concerne en premier lieu les matériaux. Alors que le béton armé envahit peu à peu le secteur de la construction, l’ingénieur Freyssinet met au point pendant l’entre-deux-guerres, les techniques de précontrainte qui seront enseignées en Europe puis aux Etats-Unis dans les années 40 et 50.

Par la suite, de nouveaux matériaux font leur apparition tels que les produits dérivés du bois comme les agglomérés, les contreplaqués ou les lamellés-collés, aciers et verres spéciaux, plastiques, colles. Les techniques de chantiers évoluent également avec la préfabrication de nombreux éléments de gros et second œuvre et la mécanisation de plus en plus poussée des tâches permettant la production de logements et d’équipements à grande échelle. Lors de la reconstruction rapide de l’Europe de l’après guerres, la réalisation des grands ensembles des années 1950-1970 témoigne de ce changement d’échelle de la production du bâti.

En matière d’architecture, le progrès technique abolit de nombreuses contraintes. Avec les systèmes poteaux-poutres en béton, puis avec les premiers murs-rideaux, il devient possible de désolidariser la structure et l’enveloppe (comme le fait très tôt remarquer Le Corbusier). Structure et enveloppe se confondent au contraire dans les ouvrages de grande portée faisant appel aux propriétés des systèmes nervurés, des voiles minces ou des coques, construits par les ingénieurs tels que Torroja, Candela ou Nervi. Désormais toutes les formes sont à priori réalisables. Devant la richesse des choix constructifs et formels qui s’offrent aux concepteurs, la question de la morale constructive prend une nouvelle dimension. En France, Auguste Perret, grand pionnier de la construction en béton-armé, qui met l’accent sur l’ossature, apparaît comme l’héritier de la tradition rationaliste.

En dépit des moyens dont disposent les architectes de ce siècle, un sentiment de dépassement notamment par l’industrie, un sentiment de retard face à une éclatante modernité, se font ressentir. Le Corbusier nous témoigne ce ressenti dans « Vers une architecture » où l’apologie du « standart » le conduit à mettre en parallèle les formes exactes du Parthénon et les lignes non moins exactes des automobiles les plus récentes afin de critiquer la passéisme dont fait preuve selon lui la discipline architecturale dans son acception académique. De même que le taylorisme qui tend à rationaliser les opérations et les temps de travail, la redéfinition de l’espace architectural doit conduire à une reformulation des rythmes de la vie quotidienne en accord avec les nouvelles exigences de la société industrielle.
Les villas que construit Le Corbusier, à cette époque, font appel à des procédés artisanaux. La « machine à habiter » fonctionne sur un registre spatial auquel la construction doit se plier.

Chez les architectes du Mouvement moderne tels que Gropius et Mies van der Rohe, la dimension constructive s’impose avec plus de netteté mais n’en demeure pas moins subordonnée à la recherche d’effets plastiques d’une toute autre portée.
Le caractère unique de l’œuvre architecturale qui contraste avec la production en série des objets industriels, la dimension esthétique dont elle se pare, témoignent d’un détachement de l’architecture au champ de l’activité technicienne.
Or une autre lignée d’architectes, d’ingénieurs et d’autodidactes tels que Jean Prouvé et Buckminster Fuller, s’attèlent à réintégrer l’architecture au domaine technique. Ils tentent avec une certaine pureté de renouer avec l’invention constructive.

« La beauté des profilés métalliques conçus par Prouvé ou le caractère saisissant des dômes géodésiques de Fuller ne veulent rien devoir à la tradition académique ; ils sont en effet conçus comme autant de réponses à des besoins génériques de l’espèce humaine, réponses renvoyant à la fois à l’ensemble des techniques contemporaines et au caractère toujours singulier du processus d’édification. »

Prouvé et Fuller exercent dans les années 1950-1970 une grande influence sur l’architecture développant une certaine réflexion structurelle et pensée holistique. En témoignent les mégastructures d’Archigram et des métabolistes japonais ainsi qu’un engouement pour la notion même de structure dans les domaines les plus divers. Tout est structure, de la nature à l’homme, de la molécule d’ADN au fonctionnement de l’esprit créateur. Les héritiers de Prouvé et Fuller seront Renzo Piano, Richard Rogers et Norman Foster principaux représentant du courant high tech. Ce courant émergeant sur la scène architecturale s’affranchit de l’utopie mégastructurelle, rendu à la pureté de son dessein initial. Il développe des projets qui mettent en scène la construction en référence à l’univers de l’industrie et de la machine, révélant un certain formalisme.

Ainsi, les recherches architecturales formelles tendent à dissocier la structure en termes techniques de son enveloppe . Des architectes tel que Jean Nouvel, tentent de surmonter en manipulant des signes en concevant des ambiances technologiques sans pour autant chercher à combler l’écart entre un univers scientifique et technique (de moins en moins spatial) et la discipline architecturale.

Aujourd’hui, les réflexions visant à renouer les liens entre architecture, sciences et techniques empruntent trois directions. Certains cherchent dans la pratique projectuelle,, la réalisation d’un prototype des processus de conception semblables à ceux des sciences cognitives. L’architecture aurait ainsi beaucoup à apprendre aux scientifiques qui réfléchissent aux mécanismes mentaux mis en jeu dans la production d’artefacts.
D’autres réfléchissent sur la complexité croissante des Bâtiments, constructive et fonctionnelle, avec l’introduction de dispositifs électroniques et informatiques actuels et à venir. Ainsi, la maison ou l’immeuble de bureaux « intelligent » pourrait reconquérir la technicité de pointe qui fait défaut à l’architecture contemporaine.
Une troisième voix explore les liens entre l’organisation spatiale et les répercutions psychologiques sur ses occupants. Ainsi, la discipline architecturale se doit de surmonter l’isolement qui règne dans un monde de flux immatériels que les sciences et les techniques tissent autour de nous.

L’habitat qui habille l’homme ne peut échapper à une évolution parallèle à celle du vêtement : le confort et le bien-être passent par la redécouverte des matériaux traditionnels et l’ouverture aux matériaux nouveaux.