mardi 17 mars 2009

Vide structurel

La basilique romaine, qui à l’âge antique était vouée aux affaires publiques, est à l’origine d’un type spatial et structurel caractérisant toute une généalogie d’édifices religieux.
A la différence du temple grec, la colonnade se situe à l’intérieur de l’enceinte, elle porte la nef centrale, dont les poussées sont absorbées par les deux nefs latérales plus basses.
La lumière jour pénètre en partie haute, la claire-voie, entre la charpente du toit et la couverture des collatéraux. La disposition magnifie l’intériorité de l’espace central enveloppé d’un déambulatoire. L’architecture chrétienne transpose le type aux lieux de culte et l’oriente le long de l’axe longitudinal, qui devient la ligne du parcours spirituel. Les voûtes d’arêtes des nefs étroites des églises romanes reposent sur des points renforcés dans le mur. Afin de libérer les intérieurs, les poussées obliques sont renvoyées sur des contreforts élevés à l’extérieur. Le mur se divise en un ordre principal et un remplissage secondaire percé de baies et de claires-voies. L’aspiration à une nef plus haute accroît les distances des appuis jusqu’à les dissocier du mur. La structure de la voûte gothique, décomposée en nervures portantes et arcs brisés, ou ogives, gagne en élancement et en légèreté. Entre les contreforts et la façade diaphane de la nef, dont les vitraux remplissent toute la largeur d’une travée, la masse se réduit au réseau des forces obliques des arcs-boutants. La forme du squelette, rejeté au dehors, irradie dans le territoire environnant. Le vide structurel est cet espace spécifique engendré par la dissociation de la structure et de la paroi.

Ill : la basilique romaine

L'espace de la technique

Ill : Centre Georges Pompidou, Paris, Renzo Piano et Richard Rogers architectes, 1974

L’usage du vide contenu dans l’assemblage de la structure caractérise le projet du centre Georges Pompidou de Piano et Rogers. L’ossature des plateaux loge dans son volume tout ce qui ne relève pas de l’exposition. Les poutres triangulées de 50 mètres de portée s’appuient sur les poteaux articulés à des pièces moulées, les gerberettes, dont les extrémités s’accrochent au treillis de la façade qui contrevente l’ensemble du système. L’espace tendu par la gerberette est voué à des usages précis. Ducôté de l la façade sur parvis, il accueille les circulations horizontales et verticales qui distribuent les plateaux. Sur l’arrière, le vide symétrique concentre le réseau des fluides et des cheminées. Le procédé constructif intègre une partition des fonctions tout en exploitant une superbe exposition des mouvements. Sur le parvis, la transparence du squelette offre le spectacle continu des escalators et coursives, qui eux-mêmes, de l’intérieur, magnifient la découverte ascensionnelle de la ville.

Les structures triangulées du XIXe

Gare d’Austerlitz, paris, Louis Renaud architecte & Louis Sévène ingénieur, 1865-1869. La halle de la gare, sa verrière et sa charpente (Polonceau) est un exemple remarquable de structure triangulée. Sa ferme articulée à six bielles, franchit 51 mètres sans point d’appui. Quant à sa verrière, seule une poutre auvent et haubanée stabilise le plan vertical et libère la membrane sur toute sa hauteur.
La triangulation est un assemblage mécanique de pièces, plus généralement en acier, qui s’oppose à la sveltesse des corps pleins mais dont la légèreté accroît considérablement la portée.

La conception du centre Georges Pompidou comme la métaphore d’une usine, témoigne de la part des architectes concepteurs de l’affirmation subversive du sens donné à l’édifice. L’image conservatrice de la culture est rejetée au profit d’une image célébrant la production. Ce monument est en quelle que sorte une consécration de l’utopie industrielle du XIXe siècle et par rayonnement est peut-être le protagoniste du style high-tech qui connut son apogée en Grande-Bretagne dans les années 1970 à 1990.
Le principe spatial de ces structures vise à couvrir un volume libre, éminemment flexible, grâce à une économie de matière et d’appuis.
L’ossature métallique, légère et haubanée, tient en suspension l’enveloppe de l’édifice, tel le gréement d’un navire.
La référence industrielle est encore présente comme modèle symbolique mais aussi comme mode de production de type Meccano dont les performances dépassent les techniques traditionnelles.
Néanmoins si l’on parle de « style », c’est bien que l’esthétique de l’apparence prédomine. L’exaltation de la structure apparaît sans rapport avec l’utilité réelle de ses éléments.
La question porte surtout sur la présence de l’espace, tant intérieur qu’extérieur, produit par une structure dissoute et omniprésente, une absence de parois et de surface.

Qu’est-ce qu’un entre-deux?
Structure et paroi

L’autonomie du squelette ouvert à la lumière remet en question l’opacité du mur, dans sa fonction tant porteuse que séparatrice.
Quel rôle joue la structure ? Détermine t-elle ou non la présence substantielle de l’espace ?
Les structures légères réduisent la matière pleine à la transmission des charges. L’expression des forces, lorsqu’elle devient une volonté formelle, tend à exposer l’armature dans une disposition radicalement distincte des parois, engendrant un nouvel espace issu de la séparation des éléments.
Une autre catégorie plus rare de structure, les « corps-creux », associe l’économie de matière à l’épaisseur traditionnelle de la maçonnerie. En disposant du vide à l’intérieur d’une paroi porteuse, l’habitabilité entre dans la structure. Ces systèmes constructifs induisent une manière particulière de répartir la matière, de recevoir la lumière et de diviser l’espace.


Corps creux

« Dans le temps, on construisaient avec des pierres pleines. Aujourd’hui, il nous faut construire avec des pierres creuses. »
Louis I. Kahn

Cette réflexion tend à perpétuer l’origine de la forme architecturale qui s’incarne dans la vocation structurelle de la maçonnerie. La « pierre creuse », constituée de béton, de briques ou de parpaings, délimite l’espace et intègre elle-même une habitabilité.
Cette attitude qui renvoie à la tradition constructive, innove en utilisant du vide là où la matière était pleine ou évidée.

Ill : lecture comparative de trois piliers ;
Eglise Sainte-Sophie, Istanbul, 562
Eglise Saint-Front, Périgueux, 1120
Etablissement des bains de la communauté juive de Trenton, Louis I. Kahn architecte, 1954-1959

Ces trois exemples illustrent trois manières d’exploiter la structure massive.
Les énormes piliers de Sainte-Sophie qui portent la grande coupole centrale et les demi sphères sont pleins.
Les piliers de Saint-Front se divisent en quatre sections réunies en partie haute pour recevoir les baldaquins des cinq coupoles en croix. Le principe dédouble la structure ainsi que la partition des lieux. Les espaces principaux sont entourés de collatéraux qui coupent à travers les piliers et contiennent la déambulation, les escaliers, les chapelles ou les « coins » de l’église.
Contrairement à Sainte-Sophie où une paroi de colonnes divise les espaces, il n’y a dans l’église de Saint-Front, aucun cloisonnement. L’ordre de la structure hiérarchise et définit chaque espace comme une entité. La recherche de cet ordre est à la base de l’architecture de Louis I. Kahn. Son établissement de bains se compose de quatre pièces semblables et autonomes qui entourent une cour centrale. La toiture de chacune d’elles, de forme pyramidale, repose aux angles sur un pilier en U coiffé d’une dalle de béton. A l’intérieur de ces édicules en parpaings nus se logent les sas d’entrée, les rangements, les toilettes et les gaines de plomberie.
La structure détermine la nature chaque pièce, tandis qu’est contenu dans son corps creux, l’espace de la technique (des fluides, de la ventilation) à l’intérieur des parois où il y a la possibilité de s’accroître.

Structure creuse

Ill : Le Mémorial de la déportation de Georges-Henry Pingusson architecte, Paris, 1954-1962

Ce projet est conçu à partir d’une exploitation de l’épaisseur creuse.
La structure creuse enveloppant l’édifice est constituée de parois de béton massif composé d’agrégats de roches concassées puis agglomérées avec du ciment blanc éclaté au pic. La texture rude et rugueuse, d’un blanc crémeux qui absorbe la lumière, circonscrit un espace chargé d’une signification intemporelle et grave.
La présence du matériau est l’un des éléments fondamentaux sur lesquels s’établit la consistance formelle de l’édifice.
La fascination qu’exerce le lieu du parvis provient notamment de la prégnance de son enveloppe qui exclut toute contingence, à l’exception du ciel et d’une ouverture unique sur l’eau. L’homogénéité de la surface pleine évoque l’immuabilité des éléments, tandis que la suspension lisible des parois, dont certaines ne touchent pas terre, trouble l’impression de masse. L’épaisseur sensible de la muraille, de trois mètres de largeur, renferme une galerie où sont exposées dans la pénombre les photos de déportés. Les murs de soutènement de l’île de la Cité, dont la face extérieure en pierre reste intacte, se transforme progressivement en une structure creuse abritant l’espace secret du souvenir.

L’embrasure

L’embrasure est l’espace en creux qui prolonge la pièce vers l’extérieur.
L’embrasure est l’ouverture pratiquée dans un mur pour recevoir une porte ou une fenêtre. Etymologiquement, le mot dérive d’embraser, qui signifie à la fois « enflammer, tirer le canon à travers les créneaux (ou les embrasures) des bastions, et par analogie rendre lumineux ». La lueur ardente de la braise est à l’origine sémantique du terme désignant cette partie du mur où la lumière du jour se reflète.

La fenêtre partage l’épaisseur du mur entre la part qu’elle laisse au dehors et celle qu’elle donne au-dedans. L’embrasure délimite précisément l’espace qui entoure la fenêtre et dont l’intérieur de la pièce dispose. Elle est associée aux techniques traditionnelles de maçonnerie, à l’embrasement des murs anciens percés en ligne biaise afin d’augmenter la pénétration de la lumière et l’angle d’ouverture des battants. Si sa forme provient de la résolution d’une contrainte d’éclairement, ses valeurs d’usage n’en sont pas moins reconnues.
L’habitabilité qu’offre un tel espace se retrouve dans les dispositions constructives et spatiales contemporaines. Sa forme dépendra de la nature de la paroi comme de l’emplacement de la fenêtre à l’intérieur de celle-ci. La simple variation de la place du vitrage entre les deux nus du mur de la façade, génère des lieux qui renvoient à la notion plus vaste, de l’espace créé dans l’épaisseur des choses.

L’épaisseur de la façade

Dans les murs anciens se nichaient des alcôves, cheminées, recoins, armoires et escaliers tout juste éclairés par la fente de l’embrasement.
Cette variété d’espaces creusés dans la pierre de façade se retrouve dans les dispositions contemporaines qui exploitent l’épaisseur grâce aux plis, en creux ou saillie, de l’enveloppe constructive.
La comparaison entre la façade arrière d’un immeuble ancien, scandé par les souches de cheminées, et la façade avant d’un alignement de maisons de ville, montre comment l’on peut détourner tel ou tel archétype de construction.
L’emplacement de la cheminée, en saillie de la façade contemporaine, se conjugue à la position des ouvertures pour interpréter la forme traditionnelle de la souche.
L’avancée se répartit en une alcôve au rez-de-chaussée, un bow-window au premier étage et une loggia au dernier. La richesse du dispositif tient à l’association de plusieurs usages dans l’épaisseur de la façade.

_L’alcôve

L’Historial Charles de Gaulle, scénographie réalisée au Musée de l’Armée à Paris, dans la cour de la valeur de l’Hôtel National des Invalides, le18 avril 2008.
Mise en place de dispositifs interactifs et audiovisuels au travers de parcours ponctués d’alcôves offrant aux visiteurs une expérience pédagogique et individuelle.

_La loggia

La maison Farnsworth(1945-51) de Mies van der Rohe
Photographies de Daniel Pierron, architecte

L’épaisseur du vide

La recherche de la densité du mur se traduit chez Louis I. Kahn, par la conception d’une « paroi creuse ». La matière qui n’est plus évidée, enveloppe le vide pour offrir une habitabilité équivalente à celle de l’encorbellement dans les murs anciens.
Le principe hiérarchise deux types d’espaces en une seule forme à la géométrie régulière : la pièce et son enveloppe « servante ». Louis I. Kahn décrivait ainsi la maison Esherick :

« La maison à l’enduit foncé, au bois naturel teinté, révèle ses fenêtres. Le bâtiment n’aura pas l’air plat, la profondeur des ouvertures, les alcôves des entrées et le porche pour les fleurs lui donneront toujours un aspect vivant. »

Les grandes pièces séparées par les dites « alcôves » extérieures, bénéficient d’une couronne de placards et bibliothèques où alternent des fenêtres en « trou de serrure » que l’architecte appelle aussi « bow-windows inversés » La section des encadrements menuisés, perpendiculaire au plan de la façade, est donnée selon l’usage à l’intérieur des pièces pour constituer des rangements, ou à l’extérieur pour recevoir le battement des volets. Cette maison toute simple, qui n’est qu’un parallélépipède à la composition sensiblement symétrique, présente une diversité d’ouvertures et de lieux créés dans les plis de la façade à ossature de bois.

Ill : Maison Esherick, Louis I. Kahn architecte, Philadelphie, 1959
Bibliothèque de la Phillips Exeter Academy, Louis I. Kahn, Exeter, New Hampshire, 1965-1971

Dans un même édifice, la hiérarchie des ouvertures de dimensions variables s’adapte ordinairement à la commodité des pièces.

Il existe un jeu entre les nus en réponse à des utilités différentes. Une seule fenêtre peut assembler deux dispositions : la partie haute de la baie encadre le ciel tandis que la partie basse, proche du meuble et de la main, contrôle le rapport avec l’extérieur. Ce double jeu caractérise la fenêtre de la bibliothèque d’Exeter : elle éclaire le vaste espace intérieur et ses tables de lecture, encastrées entre les piliers de la façade, au plus près de la lumière du jour.
Cette fenêtre répétitive, haute de deux étages, est composée d’une grande partie fixe qui se plie vers le bas pour gagner le nu extérieur du mur. L’allège de bois, percée de deux petites ouvertures au-dessus des tables jumelées, enveloppe le meuble et le lecteur, tandis qu’à l’extérieur c’est le grand ordre des vides et des pleins qui régente la rhétorique de la façade.
La fenêtre jouant entre les deux nus, intègre la mesure des usages individuels dans une unité monumentale.

L’écart

L’un des grands thèmes de la modernité consiste à user du vide au lieu de l’assemblage. L’évidement de la façade, ou du « coffre » mural, aux endroits stratégiques de contact avec le sol, avec le toit et aux angles, fait de la liaison, une mise en suspension.
Le joint creux vitré, qui permet au bow-window de s’enchâsser dans la façade de l’immeuble 1891, annonce le dispositif.
C’est surtout dans les premières recherches de Wright, vers 1900, que l’angle ouvert se généralise à la conception globale de l’édifice :

« La fenêtre en coin est représentative d’une idée que j’ai eu dès mes premiers travaux. Je m’attachais à détruire le principe de la boîte dans la construction. Comme pour donner toute sa portée à cette idée, la fenêtre en coin fit son apparition. La lumière rentrait désormais par là où il ne lui avait jamais été donné d’entrer auparavant, et la vue s’est élargie. Devant elle, la boîte avec ses murs s’évanouissait. »

De la fenêtre d’angle à l’absence d’arêtes, dont on perçoit les possibilités offertes par le béton armé, l’acier et le verre, le procédé instaure de nouvelles relations intérieur-extérieur, liées à la recherche d’une certaine apesanteur de l’enveloppe constructive. Le ciel entre sous le toit, le sol file sous les murs, et l’angle creux induit une extension virtuelle des parois qui se rapprochent sans se toucher. L’écart des plans et des bords devient un moyen de créer l’ouverture sans recourir au percement.

L’entre-deux

Des relations constructives aux relations spatiales, les processus d’assemblage peuvent se décliner selon des logiques comparables.
Entre deux matériaux, deux surfaces, deux volumes, deux corps de bâtiments.
Le recouvrement est un élément rapporté qui tend à réunir. Il participe au procédé classique de juxtaposition de pièces dont l’assemblage est une recherche de composition.
L’articulation au moyen d’une forme « rotule » crée un évènement. L’entre-deux est résolu au moyen d’un troisième élément qui peut intégrer une fonction particulière.
Le joint creux exploite la profondeur. Le jeu de l’interstice distingue la nature de chaque élément et leur confère une relative autonomie. Ce vide créé par le rapprochement est, à l’échelle des volumes, une sorte de joint spatial. Lieux des passages, des échappées et des seuils, nombre d’espaces sont ainsi constitués dans l’espacement étroit entre les objets.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Cette première partie nous a présenté un état de l’évolution du rôle du mur, protection devenu extension, puis relation avec l’extérieur. Cette évolution historique des contours de l’habitat et du rapport qu’entretient l’homme avec son environnement, permet une vue d’ensemble sur les fonctionnalités liées à l’enveloppe, les matériaux appelés à la composer, la manière dont ils sont mis en œuvre ainsi que la signification que prend le nouvel espace créé, cet entre-deux qui n’est autre que l’enveloppé appartenant à l’enveloppant.

De la première forme d’habitat aux diverses nuances de relation exprimées par une architecture contemporaine « attentive ».
Une architecture attentive à l’évolution de la société qui se traduit par de nouveaux modes de vivre, de se déplacer, de communiquer, d’habiter.
Une architecture qui porte davantage d’égards et de respect à son environnement fragile et en péril. Au-delà de cette lente prise de conscience de l’action consommatrice et destructrice de l’homme sur cette terre, l’architecture tente de se réconcilier à nouveau avec la Nature et s’unir pour œuvrer au bien-être de tous, l’une et l’autre apportant ses ressources et son savoir-faire puisque l’homme continue d’imiter la nature et que tous deux étant constitués de matière organique, vivent aux dépends de l’air, de l’eau et du soleil.
Ainsi, le traitement de l’enveloppe correspond à un certain comportement vis-à-vis de l’environnement.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire