mercredi 18 mars 2009

Formes primitives de l’enveloppant et évolution des contours de l’enveloppé

D’un monde intérieur au monde extérieur

Le corps maternel
L’objet transitionnel enveloppant
La nature mère nourricière


La première forme d’enveloppant que connaît l’homme est le corps maternel.
La nécessité qu’exprime l’homme depuis tous temps et tous âges, de s’emparer ou se confectionner un enveloppant pour y trouver refuge, remonte à la naissance, à cette première expérience transitionnelle vécue, à ce passage du monde du dedans au monde du dehors. Ce phénomène transitionnel perdure par artefact consistant à fabriquer, par nécessité, un objet transitionnel permettant des allers-retours entre différentes sphères, intérieures, extérieures, réelle, imaginaire ou symbolique.
Ce besoin d’enveloppement se traduit aussi par des « faits » culturels.
De tout temps, les adultes ont transmis à l’enfant, une étoffe, une pièce de tissu pour matérialiser, tisser la trame de leurs relations et lui dessiner une place, la sienne, dans la société à laquelle il appartient.
Les pièces d’étoles telles le pagne, le sari, les langes ou les voiles, ont des fonctions d’apaisement, de consolation, de portage et de protection. Elles assurent la transition entre le corps maternel et son nouvel habitat (berceau).
En Inde et en Afrique, le portage de l’enfant à l’aide d’un tissu jusqu’à son sevrage se fait de manière culturellement ritualisée par rapport à la société, qui entoure et enveloppe toujours l’enfant. Cette pièce de tissu a une valeur symbolique. Elle représente le ventre-utérus de la mère, un lien du corps maternelle avec tous les « enfants de la même déchirure » et la cohésion de cette fratrie avec la mère. Après le sevrage de l’enfant, elle marque le moment d’individualisation de l’être. Elle symbolise le processus de différenciation et de séparation de l’enfant par rapport à sa mère et son environnement.
Le linceul est aussi un objet transitionnel jusqu’à la mort. (Cérémonie des « relevailles » à Madagascar).
Ainsi, l’enfant devenant adulte, éprouve un besoin vital de s’enquérir d’un chez-soi, d’un enveloppé ou un désir nostalgique de retrouver cet enveloppant qui le rassure. La nature devient alors sa nouvelle mère nourricière. L’homme appartient désormais à la terre.


De la séparation du monde extérieur ....

L’enveloppe protectrice
L’enveloppant opportun
L’enveloppant modifié
L’enveloppant symbolique

L’enveloppe structurante
Le concept de muralité

La deuxième forme d’enveloppant qui appartient au monde extérieur, se traduit par un habitat trouvé, opportun, que l’homme n’a pas construit, mais qu’il a découvert et s’est approprié. Ce « lieu-abri » qui peut être une caverne, un creux, une grotte, un réceptacle-carapace, est né d’un caprice géomorphologique de la croûte terrestre. Il trouve sa justification sociale grâce à l’instinct d’adaptation et de survie de l’homme qui en a fait son habitat.

Les premiers chasseurs du Néolithique occupaient des huttes recouvertes de peaux ainsi que les cavités naturelles rocheuses. Adoptant un mode de vie plus sédentaire, cet habitat de la providence se modifie peu à peu par l’intervention de l’homme qui complète le travail de la nature et organise l’espace pour des raisons d’abord cultuel et économique.

Le village fortifié de Cucuruzzu, en Corse, est un exemple d’équilibre entre les prémices d’une architecture et l’œuvre accomplie de la nature. Ce complexe monumental utilise habilement un chaos granitique agencé avec des blocs cyclopéens. Ce castellu montagnard se présente comme un ensemble fonctionnel de base presque circulaire, à vocation en partie cultuelle et surtout économique. Dans les différentes loges qui le composent étaient réunies toutes les activités d’un atelier de poterie, d’un moulin et d’un entrepôt à céréales. Tout autour et sur près de deux hectares s’étendaient les habitations du village de la tribu occupant les lieux.

Progressivement, des constructions durables apparaissent en torchis et en pierres. A quelques centaines de mètres de Cucuruzzu, le site de Capula se compose lui aussi d’un environnement rocheux où d’énormes blocs de granit ont été appareillés avec un soubassement de pierres monumentales, complété ensuite par des rangées régulières de moellons.

Ainsi dans cet habitat primitif qui exploite les cavités rocheuses, les volumes creusés dans la masse qui isole, l’enveloppe primitive minérale prend un aspect protecteur. L’enveloppe végétale prend elle, un aspect de camouflage, et l’enveloppe animale, une forme d’habillage.(L’homme réutilise la peau des bêtes qu’il chasse pour envelopper son habitat.)

L’enveloppe minérale représente une coupure franche puisqu’elle sépare l’intérieur et l’extérieur, la nuit et le jour, l’obscur et la lumière, la matière et l’air. Or la caverne ou la grotte qui exprime fortement le rôle initial de carapace de cette enveloppe, apparaît comme matrice symbolique. Cette enveloppe protectrice qui renvoie à un espace sécurisé renvoie désormais à celui de l’intimité et du ressourcement. Evoquant un certain retour originel, retour à un état premier, cet espace offre une sécurité à la fois matérielle et psychologique. Cette enveloppe naturelle a inscrit profondément en l’homme une conception de l’habitat comme lieu de repli.

Lorsque l’homme commence à aménager l’espace, à l’enveloppe naturelle, s’ajoute une enveloppe façonnée par les mains de l’homme dans un soucis d’adapter son habitat à de nouveaux usages. L’extension de l’enveloppe naturelle permet d’agrandir l’espace investi par des appentis de branchages, un enclos de pierres appareillées, d’ouvrir son habitat vers l’extérieur occasionnant des échappées d’air (pour l’évacuation des fumées) et de lumières pour éclairé l’enveloppé.

L’habitat troglodytique illustre ce pas avancé d’un habitat naturel modifié.

L’enveloppe sortant des profondeurs de la croûte terrestre court désormais le territoire. Avec l’apparition de l’oppidum des camps celtiques, de l’enceinte gallo-romaine, des remparts des villes médiévales et de ses maisons fortes, de l’enclos des exploitations agricoles ou des domaines privés, l’enveloppe renforce son rôle de protection au-delà du logis puisqu’elle contrôle désormais un territoire.

L’enveloppe devient mur, un mur de simple épaisseur. Son aspect monolithique, souvent aveugle ou pourvu de très petites ouvertures, exprime un caractère défensif, une capacité de résistance faces aux intempéries, aux invasions comme aux évasions.
Ainsi la gangue minérale du logis additionnée à l’enceinte constitue un bouclier choisi et créé par l’homme. La protection apportée par le mur, la paroi se rapporte au repli, au subi, à l’homme acculé dans son antre.
Avec l’enceinte ou le rempart, la paroi devient une défense décidée, une résistance qui peut être modulée et s’étendre vers l’extérieur afin de conquérir un nouveau territoire.
Les enceintes introduisent un nouveau rapport entre enveloppant et enveloppé. L’enveloppé se développe de manière concentrique à l’intérieur de l’enveloppant.
Ce phénomène se traduit par une concentricité des villes à l’intérieur des remparts ainsi que de l’habitat. L’enveloppé du logis se compose d’une succession d’enceintes juxtaposées et se développe suivant un passage de salle en salle, de pièce en pièce, générant une spécialisation des espaces intérieurs (lieux de partage, d’échange, de rencontre, de circulation et d’isolement, lieu du travail et lieu du repos).

Ainsi l’enceinte à l’intérieur de laquelle se développe l’habitat protégé, devient une paroi extérieure (dissociée de l’habitat), une enveloppe autonome. Son déploiement vers l’extérieur traduit un certain comportement de l’homme vis-à-vis de son environnement, une attitude conquérante de l’homme vis-à-vis de la terre.
Avec l’apparition des premiers rempart, l’enveloppe va prendre une valeur autrement symbolique, représentant à la fois une protection et un pouvoir.


... A la division d’un monde intérieur

Décomposition de l’enveloppe
Structure et revêtement

Dématérialisation de l’enveloppe
Les colonnes

Vers une enveloppe structurante

L’enveloppe est à la fois paroi et structure. Or la paroi est ce qui clôt et la structure est ce qui porte. Les structures massives associent les deux fonctions. Le mur constitue l’appareil porteur et le cloisonnement de l’espace. Dès l’Antiquité, l’enveloppe abrite en ses murs et partitionne l’espace.

L’Antiquité gréco-romaine
L’enveloppe «solide et utile»

L’histoire de l’architecture accorde une part importante à cette période dont les monuments antiques et les principes ont constitué une source d’inspiration constante dès la Renaissance.
A cette période les matériaux peu nombreux et les procédés constructifs simples font preuve d’une véritable économie de moyens. Les temples sont construits en bois, en argile et en pierre selon un dispositif simple se basant sur trois éléments constructifs essentiels : le mur, la colonne et la plate-bande. L’architecture préclassique et classique attribue à la muralité et au traitement de l’articulation de la colonne et de la plate-bande une importance capitale.

La structure du temple grec est fondée sur un système réglé de rapports logiques et dimensionnels entre ses différentes composantes constructives, un système arithmétique et géométrique. Les concepteurs, tel que Ictinos au Parthénon, ont recours à des corrections optiques qui consistent à bomber légèrement la plate-forme du temple afin de lui redonner sa prestance. L’architecture enveloppante participe ainsi à des réflexions optiques et physiologiques.

Au cours de la période hellénistique, une sophistication croissante des programmes et des procédés de construction apparaît. Des palais et des habitations particulières sont construits à proximité des temples et des salles d’assemblées. L’architecture domestique fait apparaître les arcs et les voûtes et un début de dissociation entre ordonnance extérieure et structure des édifices. Les progrès de l’architecture indissociable d’un mouvement d’investigation scientifique et technique mettent en crise le principe d’unité structurelle de classicisme grec.

A Rome, ville impériale qui apparaît comme l’héritière de la civilisation hellénistique, les monuments, tel que le Panthéon, font usage d’une nouvelle technique. Cette innovation constructive que représente l’opus caementicum, le béton romain, qui permet de bâtir au moyen d’un mélange de mortier et d’agrégats avant de procéder à un habillage de brique ou de pierre, accentue la dissociation entre forme et structure.

L’architecte romain Vitruve qui réalisa le premier traité d’architecture, De architectura (au Ier siècle avant J.-C.) seule approche théorique de l’architecture antique, se montre hostile à cette nouvelle technique au nom de la probité constructive qui réclame d’accorder l’apparence à la structure de l’édifice. Bien qu’il fonde l’architecture sur sa nécessité constructive d’abriter les hommes, Vitruve distingue la discipline architecturale de l’art de bâtir. A la solidité et à l’utilité, qualités essentielles de l’art de bâtir, doit s’ajouter la beauté qui naît de la méditation de l’usage et de sa pérennisation dans la pierre et le marbre. Son traité qui tente de codifier les principes de l’architecture hellénistique (système de proportions, utilisation des ordres, etc.), révèle les rapports entretenus entre la discipline architecturale, la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, la musique, voire la médecine. Ingénieur autant qu’architecte, Vitruve nous montre l’image d’une discipline architecturale en prise sur l’ensemble des procédés au moyen desquels l’homme agit sur la nature.

Les bâtisseurs du Moyen-Age
La visée technicienne de l’enveloppe et son élan vertical

Au cours du Moyen-Age, l’influence romaine sur l’architecture se conjugue avec des apports byzantins et orientaux. L’enveloppant ne cesse de se complexifier. Les églises romanes qui se développent en Occident du Xème eu XIIème siècle, adoptent de nouveaux procédés constructifs telles que la voûte en berceau pour la nef principale, la voûte d’arête pour les bas-côtés, la calotte ou la coupole en pierre, les piles cruciformes qui récupèrent les charges. Avec l’ampleur que prennent les édifices religieux, les techniques de construction sont renouvelées. A l’intérieur, « la voûte en berceau continu cède la place au berceau à doubleaux qui détermine des travées et enrichit le rythme intérieur de l’édifice » . C’est le cas de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay du XIIème siècle, restaurée par Viollet-le-Duc. « Aux supports de la voûte (piliers quadrangulaires, cruciformes, quadrilobés ou polylobés) s’ajoutent les colonnes engagées qui reçoivent les retombées des doubleaux. »

A l’extérieur, « les murs sont rythmés part les contreforts et les bandes lombardes, réunies à leur sommet par des arcatures aveugles. » C’est le cas de l’église Saint-Philibert de Tournus, ancienne abbatiale reconstruite au XIème siècle.
Le développement de l’architecture romane s’exprime à travers une grande diversité stylistique liée aux particularités régionales. Tandis que les abbayes de Cluny et de Paray-le-monial expriment le développement de la monumentalité et la richesse décorative, les abbayes de Cîteaux et du Thoronet imposent pour leur part, la simplicité et le dépouillement.
Les performances de plus en plus spectaculaires de ces édifices qui gagnent en hauteur, en ouverture et en lumière, laissent places aux cathédrales gothiques.

L’architecture gothique qui se développe de la fin du XIIème au début du XVIème siècles, accorde un intérêt croissant à l’homme et la nature et s’exprime à travers l’évidement des murs, la multiplication des fenêtres et l’accentuation de la verticalité. La réflexion des maîtres d’œuvres gothiques part de la voûte dont les poussées canalisées par l’intermédiaire des arcs en ogive sont reprises au moyen de piles cruciformes, de contreforts et d’arcs-boutants, transformant ainsi les édifices en un système dynamique de butées et de contrebutées qui s’exprime avec franchise. De très fins appuis verticaux et obliques révèlent les lignes de force de la structure. Dans les cathédrales des XIIème et XIIIème siècles, la construction se donne à voir au même titre que le décor sculpté qui orne les façades. La conception de ces cathédrales ne participe pas de calculs savants mais participe d’un ensemble d’intuitions structurelles et de savoir-faire lentement sédimentés qui tend à rationaliser leur mise en œuvre. Le tracé des voûtes qui est indissociable des procédés de taille des pierres et des appareillages témoigne de cette préoccupation et d’une prise en compte globale du processus de conception-réalisation liée à la taille et à la complexité croissante des chantiers.

Tandis que la conception d’une église romane s’appuyait sur un symbolisme des nombres renvoyant au message biblique et à ses interprétations, la conception des cathédrales accorde un intérêt à la géométrie. Cette géométrie diffère de celle de Vitruve qui repose sur les rapports dimensionnels entre le tout et les parties. Les bâtisseurs gothiques usent d’une géométrie nouvelle, la géométrie de la règle et du compas, véritable outil de conception et de communication nécessaire à la coordination du plan et de l’élévation de l’édifice et à la définition des gabarits des pierres permettant sa réalisation. A cette époque, un vif intérêt est porté aux techniques constructives que nous révèle Villard de Honnecourt, maître d’œuvre et dessinateur du XIIIème siècle dans le carnet de dessin qui nous livre. La précision des schémas, la qualité des esquisses et l’exactitude des plans nous renseignent sur la construction des cathédrales. Ce document rappelle le traité de Vitruve pourtant ignoré des bâtisseurs de l’époque.

Renaissance ou régression
La primauté du beau, de l’ordre et du statique

Au XVème siècle apparaît un mouvement de rupture avec le gothique, la pensée médiévale et l’assujettissement à Dieu. Désormais, l’architecture de la Renaissance n’a plus de visée technicienne. Elle se base sur des principes esthétiques supérieurs, des concepts abstraits tels que la symétrie et les proportions, l’emploi d’une langue strictement réglementée dans son vocabulaire et sa syntaxe, et le système des ordres. Plaçant la «beauté» au centre de ses préoccupations et remettant en cause ou niant les acquis de ses prédécesseurs, elle représente une régression pour l’architecture. Elle condamne l’arc-brisé pour revenir au plein cintre (jugé plus «pur» au dessin). Elle renonce aux exploits des maîtres maçons du Moyen-Age. Elle revient à la voûte en berceau ainsi qu’à une conception statique de la construction. Elle se reffuse à toutes performances comme l’élévation excessive du volume, l’allègement des parois ou l’ouverture à la lumière. Elle condamne le dernier style du Moyen-Age et ses «ouvrages monstrueux et barbares qu’on peut appeler plutôt confusion et désordre» (Vasari).

La Renaissance qui naît en Italie, redécouvre l’idéal humaniste, politique, philosophique et artistique de l’Antiquité.
Elle redécouvre l’œuvre vitruvienne dont le traité est édité pour la première fois à Rome en 1486, avec Leon Batista Alberti (1404-1472), architecte génois. Ce dernier nous livre en 1450, son traité, De re aedificatoria influençant radicalement ses contemporains qui imitent les formes antiques et s’en inspirent.
Parallèlement à ce regain d’intérêt vitruvien, s’affirme une nouvelle figure d’architecte humaniste tel que Filippo Brunelleschi (1377-1446) dont l’ambition de contrôle des tâches de chantier qui l’anime s’inscrit dans une nouvelle vision des procédures d’édification. Brunelleschi sculpteur et architecte florentin, étudie et interprète l’antique. Il tente de ranimer ce dernier en conséquence d’un essoufflement du gothique. Il entend remonter aux sources même de l’architecture gréco-romaines de l’Antiquité afin de rationaliser l’espace de la Cité moderne et met en place les bases de la perspective opposant ainsi le gothique tardif à un nouveau système de représentation du monde. L’étude des monuments antiques lui apporte nombre d’enseignements comme la disposition planimétrique, les rapports des éléments architecturaux entre eux et les règles pratiques de construction. Il réadapte le vocabulaire antique à un édifice qu’il conçoit comme un tout organique régi par des mesures et des proportions harmoniques.
Brunelleschi saisit l’importance de la lumière comme « réalité mesurable » et celle de la géométrie comme système de représentation. Il expérimente un nouvel espace à la fois visuel et plastique.
S’appuyant sur les notions récentes de la perspective, il redéfinit l’édifice dans son contexte social et urbanistique en lui conférant une nouvelle spatialité. Les lignes de force de l’architecture (colonnades) comme ses contours ou les scansions de l’espace (l’arternance des pleins et des vides) sont mises en évidence par la perspective, perspective conçue comme une structure géométrique de l’espace. L’architecture, elle, est conçue comme représentation rationnelle de cet espace.

Ainsi, la Renaissance dicte à l’architecture de nouveaux principes où les règles de régularité, de symétrie et de proportion préside à toute création architecturale, et un nouveau langage fondé sur les ordres à la fois système de proportion et langage décoratif. Les façades sont rectilignes, les raccords se font à angle droit (tous angles obtus ou aigüs sont proscrits). Les façades sont pourvues de baies de largeurs égales et espacées régulièrement. Les baies doivent être également alignées sur un même niveau. Les façdes se composent par symétrie de deux moitiés identiques par rapport à l’axe médiant. Les dimensions du bâtiment doivent être harmonieuses. Par conséquant, ses dimensions doivent être des multiples d’un module de base.

Ill. Lhôpital des Innocents à Florence (1419-1424)dont le plan est régi par le nombre d’or, dont le tout architectural établit un rapport particulier à l’espace urbain, et dont l’enveloppe architecturale ou «membrure» de l’édifice, est soulignée par les lignes horizontales et verticales en Pietra Serena (pierre grise locale), est la manifestation d’un style nouveau en opposition à l’élancement gothique et à sa polychromie.

Cette vision se précise dans le traité d’Alberti qui reprend la triade vitruvienne solidité, utilité, beauté en la réinterprétant à la lumière des acquis les plus récents de l’humanisme. Or l’économie spatiale de projets, leur soumission aux impératifs du beau en architecture, priment sur les techniques utilisées pour les réaliser. L’architecte humaniste tend à privilégier les dimensions qui distinguent sa pratique du simple art de bâtir. Ainsi l’architecte, peintre, sculpteur, théoricien et poète, devient un savant qui utilise les traités, connaît les règles de la perspective et s’attache à la connaissance du corps humain. Son statut social évolue au cours du XVème siècle au fur et à mesure que la dimension intellectuelle de l’œuvre créée est reconnue.
Dans le reste de l’Europe où l’héritage médiéval demeure vivace, l’évolution est lente.

En France, au XVIème siècle, les architectes de la Renaissance tel que Philibert de L’Orme (1510-1570), vont tenter de concilier les acquis constructifs du Moyen-Age avec les enseignements de l’Italie. Delorme incarne la figure de l’architecte porteur d’une culture savante qui rompt avec la tradition des maîtres maçons constructeurs des cathédrales ayant appris leur métier sur les chantiers. Ses réalisations architecturales aux enveloppes minérales, combinent les formes de la Renaissance italienne à des réalisations stéréotomiques sophistiquées.
Les architectes de la Renaissance placent toutefois la tradition vitruvienne en position délicate. Le mode de construction qu’annoncent les colonnes dont s’ornent palais et églises échappe au comportement véritable de la maçonnerie. La valeur structurelle de la colonne est subordonnée aux impératifs du beau en architecture. L’architecture baroque rend compte de ces expérimentations formelles dont la géométrie complexe (circulaire ou elliptique) s’écarte des tracés régulateurs à la manière antique que prônent les architectes de la Renaissance auteurs de traités.

Un baroque réactonnaire ou maniéré
Tentatives de mouvances


Tandis que le classicisme très présent en France se réalise dans le respect des formes antiques gréco-romaines, le baroque s’en distingue par l’innovation.

« L’esprit baroque réside dans la liberté de modifier les formes classiques à l’origine de manière à les rendre perméables à toutes les nuances d’expression émotive (rupture de soubassement, doublement des colonnes, incurvation des frontons, effet de trompe l’œil) »

Le baroque valorise le mouvement, la ligne courbe, l’inconstance, la démesure, l’illusion ou le mystère. Il est conforme à l’esthétique que préconise la Contre-Réforme catholique. Il se développe dans une France en crise qui sort tout juste des guerres de religions (1660).

Ill. La colonnade du Louvre, Paris, édification en 1667 d’une façade monumentale dominée par un péristyle à colonnes doubles occupant tout l’étage. Tout en se réclamant de la pureté des lignes gréco-romaine, l’édifice fait appel à des techniques différentes de celles de l’Antiquité. Ses colonnes accouplées et ces grands linteaux de pierre sont construits par claveaux comme autant de voûtes plates stabilisées au moyen d’agrafes et de tirants métalliques. L’écart entre le modèle vitruvien et les procédés employés pour le réaliser atteint son paroxysme.

Ill. Le palais du Luxembourg (1615-1631) de Salomon de Brosse, montre un mélange habile des éléments à la française (toits mansardés et décorés) et italiens (traitement rustique du parement de pierre).

Ill. Le château de Maisons-Laffitte (1642) de François Mansart qui reprend une innovation italienne, un ordre architectural pour chaque étage. Le frontispice avec son ornementation et son toit surhaussé est typiquement baroque.

Autant le baroque italien fait l’usage de courbe et de contre-courbes, autant le baroque français préfère les coins et les contre-coins orthogonaux.

Ill. La façade d’entrée du château de Vaux-le-Vicomte (1657-1661) construit pour Fouquet par l’architecte Louis Le Vau (1612-1670) se développe selon un «profil en U creux» du bâtiment conférant «deux coins en creux» nous enveloppant et nous accueillant. Chacun de ces coins est encombré d’un «contre-coin en plein» contrariant cet enveloppant et empêchant de ressentir l’effet de creux.
Nous sommes à la fois dans un «coin creux» et devant un «coin plein». Les extrémités des ailes latérales affirment chacune un axe autonome qui concurrence l’axe de l’ensemble du bâtiment. Les redents successifs ponctuent la façades d’axes verticaux qu’accentue la perspective et créent une rythmique architecturale. La suite continue de cubes similaires, frontaux et latéraux, dont l’orientation diffère, confère une dynamique à la façade.


L’enveloppe comme expression de la gravité

Au travers ces siècles de l’histoire de l’architecture, on constate que la tradition ancestrale de la maçonnerie se perpétue accordant à la façade la fonction de clore et de porter l’édifice. Les murs massifs étaient le plus souvent homogènes, et leur adaptation aux charges croissantes vers le bas a été résolue par une réduction des percements ou une augmentation progressive de l’épaisseur. L’enveloppe minérale ou maçonnée qui se veut ancrage au sol, révèle en son langage le choix d’un dispositif structurel. Les contours qu’épouse l’édifice rendent compte des charges qui pèsent sur lui, de cette force gravitationnelle qu’il faut acculer.
Ainsi le mur s’élargit sur la face intérieure ou extérieure sous la forme d’un fruit ou de ressauts correspondant à la division des planchers. La cohésion structurelle du mur, raidi par les planchers, est renforcée par une armature filante, le chaînage. L’assemblage peut être apparent ou souligné d’une modénature protégeant les ressauts de l’infiltration d’eau. Les ancres qui martellent l’enveloppe, sont les ferrures que l’on fait passer dans l’œil d’un tirant, servant à relier un chaînage ou les solives du plancher à un mur afin d’empêcher l’écartement des façades, la poussée des voûtes ou le déversement des cheminées. Le plus souvent, elles sont cachées dans la maçonnerie, mais lorsqu’elles sont apparentes et disposées régulièrement, elles ornent la façade des signes emblématiques du corps de métier. L’enveloppe affiche les marques de fabrique de l’édifice. Sa composition ou ordonnance donne à lire la façon du tout architecturé.

Ill : maison de village en Corse
Immeuble industriel à Londres
Immeuble de rapport à Paris

L’enveloppe structurelle verticale se déforme sous la charge de son propre poids. Les poussées horizontales et verticales se transmettent par une force oblique, la résultante, dans la masse du mur ou celle du contrefort (à l’intérieur de la surface d’appui). D’où l’importance accordée à l’épaisseur structurelle enveloppante qui est la quantité de matière nécessaire à la stabilité du plan vertical de la construction.

Ill : Contreforts d’une église romane
Bibliothèque d’histoire de l’université de Cambridge, James Stirling architecte, 1964

La stabilité recherchée de cet enveloppant ou tout architectural, s’exprime par ailleurs par la disposition en arcades, qui soulage la section des piliers où les résultantes s’annulent en une seule force verticale.

Ill : Arcature du palais des Doges, Venise

Après une longue période du XVIème au XVIIIème siècle, marquée par la permanence des matériaux de base tels que la pierre, la brique et le bois et le silence de la tradition vitruvienne à l’égard de la construction., on reconnait une évolution progressive des techniques constructives dans les villes où le bois et le torchis des habitations médiévales sont remplacés par la pierre, la brique. L’ouvrage de maçonnerie qui prédomine, différencie deux parties soumises aux efforts. Le mur traditionnel est une surface continue, unifiée par son revêtement, et dont la modénature et le relief souligne soulignent les points de résistance aux poussées. L’association de la structure et de la paroi au sein de l’enveloppe sera remise en cause avec l’emploi du fer et du béton armé qui généraliseront la construction à ossature. Mais les nouveaux savoir-faire ne boulverseront pas tant le cadre de la production ordinaire du bâti.


Conservatisme nostalgique contre rationalisme critique
L’enveloppe historicisante

A la fin du XVIIIème siècle, les villes connaissent un fort développement dans un climat révolutionnaire et d’indépendance face aux crises de l’Ancien Régime. Les principes unitaires du classicisme sont abolis au profit d’un néoclassicisme et éclectisme grandissant. L’autorité des forces conservatrices qui dirigent la commande d’architecture, les institutions et les pratiques, diffère l’apparition d’un nouveau système d’architecture, le rationalisme critique.
La demande croissante d’architecture publique née de l’urbanisation, se satisfait en masse par l’esthétique, vulgaire ou raffinée, des formules éclectiques et historicistes.
L’enveloppe se revêtit de tonalités anciennes ou lointaines. Or les certitudes forgées dans l’imitation de l’Antique sont mises en question par les voyages des architectes, les fouilles et découvertes archéologiques et par l’intérêt grandissant pour les techniques de construction du passé. A cette époque, une reconnaissance patrimoniale aboutit aux premiers chantiers de restauration.

La banalité nécessaire de l’enveloppe

Après 1750, l’architecture passe par une phase intermédiaire et instable, critique et libératrice, marquée par la pensée scientifique et par la réflexion historique, par la crise des croyances qui fondaient l’autorité de l’architecture savante depuis la Renaissance. La nouvelle approche historique et le débat technologique ouvre la voie à la modernité.
Ainsi, au XIXème siècle, le rationalisme, par la relecture de l’histoire et des techniques, alimente la production théorique. Ses théoriciens interprètent de façon critique la rupture, qu’apportent la production industrielle et les techniques du « machinisme » régis par le capitalisme. En France, le traité d’architecture publié à partir de 1850 par de Léonce Reynaud, expose la théorie d’un développement structurel rationnel, et identifie toute construction « au domaine de l’architecture ». les premières réalisations de cette offre rationaliste sont des dispositifs élaborés et construits en réponse au programme, sans les inscrire a priori dans un système d’imitation ou d’interprétation.

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