mardi 17 mars 2009

Des nouveaux matériaux aux nouveaux ordres architecturaux

Auguste Perret : ordre et vérité du béton armé
Dualisme entre structure et remplissage

L’idée que la vérité en architecture réside dans la logique constructive traverse toute la culture architecturale française de Philibert de l’Orme à Eugène Viollet-le-Duc. Pour Perret, cette logique s’identifie à celle de l’ossature en béton armé dans ses valeurs fondamentales, la structure portante et les secteurs de remplissage qui ont chacun une expression formelle distincte, soit par un procédé constructif, soit par des valeurs de grain du matériau, de relief, ou de couleur.
Il apparaît deux orientations fondamentales dans les premières expérimentations significatives de la technique du béton armé en France (au-delà de la diversité des systèmes constructifs adoptés). L’une tend à affirmer la valeur de continuité de la paroi sans mettre en évidence la trame en béton armé.
L’autre expérimente diverses solutions d’articulation entre structure et remplissage.

L’œuvre d’Auguste Perret exprime ce dualisme entre structure et remplissage.

« Notre Musée, écrit-il, serait donc en pan de béton armé, c’est-à-dire qu’il serait fait de poteaux largement espacés qui supporteraient des poutres et des dalles ; c’est l’ensemble de ce système que nous appelons ossature. [...] De même que le squelette rythmé, équilibré, symétrique de l’animal contient et supporte les organes les plus divers et les plus diversement placés. De même, l’ossature de notre édifice devra être composée, rythmée, équilibrée, symétrique même, et elle devra pouvoir contenir les organes les plus divers exigés par le programme. [...] C’est là la base même de l’architecture. Si la structure n’est pas digne de rester apparente, l’architecte a mal rempli sa mission. [...] Les matériaux de revêtement et de remplissage devront compléter l’ossature, mais sans la dissimuler, il faut que se montre une poutre là où il y a une poutre, et un poteau là où il y a un poteau. [...] Ces dispositions éviteront bien des surprises désagréables le jour où, par suite de dilatation, retrait, tassement, les parties portantes affirmeront leur présence. »

A la fin des années 1920 et au début des années 1930, les architectures de Perret font prévaloir la thématique du rapport structure remplissage et sa recherche se concentre de plus en plus sur l’expressivité de matériaux différents utilisés ensemble, chacun montré dans la spécificité de ses propres valeurs. L’ossature apparente en béton armé devient l’élément principal de la caractérisation formelle. En 1926, Perret théorise l’usage exclusif de la fenêtre verticale.
Les secteurs de remplissage sont constitués de triples parois (un panneau de béton armé à l’extérieur et deux cloisons en carreaux de plâtre à l’intérieur) qui assurent aux espaces une parfaite isolation thermique et acoustique. Les panneaux de béton armé sont reliés entre eux par des armatures métalliques.
Perret joue savamment les thèmes de l’enfilade, de séquences de perspectives transversales et de structures en forme de fût de colonnes. La structure portante verticale se ramifie en passant des étages inférieurs destinés à des activités professionnelles à ceux réservés à l’habitation, pour éviter la présence, dans les appartements, de piédroits dans l’axe de la perspective de l’enfilade principale.
Les idées du permanent et du transitoire se reflètent dans le rapport entre la structure principale, dessinée de façon à constituer les lignes premières fixes, de références, de la composition formelle, et les secteurs de remplissage et les ouvertures qui, susceptibles de varier en nombre et en dimensions d’une travée à l’autre, s’adaptent librement aux différentes fonctions des locaux. L’ordre secondaire est introduit précisément pour pouvoir réintégrer dans la rigueur d’un système syntaxique les lignes correspondant à des partitions internes variables.
Perret définit ainsi la complexité de la structure en béton armé :

« Une des qualités de la construction en béton armé est son monolithisme, mais ce monolithisme ne présente pas que des avantages ; l’impossibilité de couler d’un seul coup le bâtiment, les multiples opérations nécessaires produisent des tensions. Ces tensions [...] produisent des fissures qui défigurent le bâtiment. Dans le but de les éviter, nous avons fractionné l’édifice. La grande colonnade monte d’un seul jet jusque la couverture formant ainsi un haut portique – sous ce portique et indépendamment du premier, un second portique supporte le plancher intermédiaire. »

La colonne en béton armé apparent, finement dessinée, travaillée de façon à lui donner l’apparence d’un monolithe de pierre, devient le paradigme capable de résumer la complexité de la poétique de Perret.
La forme du fût de la colonne évoque la métaphore de l’arbre chère à Perret.

« Ce qui fait la solidité du béton de ciment armé, c’est [...] outre sa résistance propre, le monolithisme de l’ossature, monolithisme où toutes les pièces sont encastrées les unes aux autres, et c’est pour examiner cet encastrement que nous avons été conduits à faire nos points d’appui plus gros en haut qu’en bas, à l’inverse de ce qui se faisait jusqu’à présent pour les colonnes. Nous avons hésité longtemps avant d’oser cette forme et c’est en Egypte, l’aspect d’un groupe de palmiers dont les troncs lisses et nus s’élançaient du sol jusqu’à leurs palmes, à plus de vingt mètre de hauteur, en grossissant toujours, qui nous a décidés. »

Du « plan libre » à la « façade libre »
Le Corbusier

Pour le projet de la maison Dom-ino, Le Corbusier étudie « un système de structure – ossature – complètement indépendant des fonctions du plan de la maison : une ossature porte simplement les planchers et les escaliers. »
La structure en béton armé est ce qui rend possible cette idée d’un organisme architectural unitaire et multiple, qui se prête à la préfabrication comme à l’artisanat. Même si le raisonnement de le Corbusier part de l’impératif de vérité et de visibilité déclaré et professé par Perret, il s’en détache en prenant des marges de liberté.
La conception de la maison Dom-ino prévoit les potentialités de l’ossature en tant que tracé structurel de nouveaux organismes architecturaux et urbains, mais aussi la négation de l’ossature en tant qu’élément résolutif de la forme architecturale. Le système Dom-ino indique clairement l’articulation en deux réalités distinctes : le plan et la structure en béton armé. Comme dans le modèle théorique de la cabane primitive idéale discuté dans les traités d’architecture, l’ossature Dom-ino assure seulement l’abri, la couverture d’un espace protégé par des parois qui interviennent dans un second temps. L’ossature Dom-ino disparaît au moment de la construction des murs, car les piédroits sont englobés soit dans l’enveloppe soit dans l’aménagement intérieur.
Se heurtant à de grandes difficultés de synthèse d’ossature et d’espace dans une confrontation gagnée d’avance avec l’enveloppe, Le Corbusier abandonne tout rigorisme quant au programme, qu’il s’agisse du rigorisme perretien ou celui de l’ossature Dom-ino, pour expérimenter des articulations d’espaces plus libres qui l’amènent à une utilisation instrumentale de la structure en béton armé : celle-ci apparaît désormais fragmentée et non plus comme un système organique, justement pour mieux laisser cours à cette libre expression de l’idée d’espace. Le Corbusier étudie une série de types architecturaux – « l’immeuble-villas », l’ « édifice à redans », le « gratte-ciel cruciforme » - conçus comme une application de la structure en béton armé.
Le Corbusier refuse l’expression de la structure comme solution de caractérisation formelle de l’enveloppe architecturale. Il adhère à la logique du béton armé à maille régulière qui se traduit par des architectures suivant une logique géométrique et se présentant comme des prismes parfaits.
La technique du béton armé reste un simple préalable dans une conception où la structure est pensée indépendamment des considérations de rapport avec les partitions configurant le « plan libre ». Les espaces intérieurs s’organisent en spatialités continues à chaque niveau de plancher, le long de parcours complexes qui conservent un certain degré d’autonomie.
Si Wright, pour obtenir une spatialité complexe et continue, parvient à articuler et dissoudre l’enveloppe et à distribuer les pièces le long de parcours de vues, Le Corbusier obtient le même résultat mais à l’intérieur d’une enveloppe parfaitement définie, puriste et palladienne. Les termes de structure et d’espace sont, de nouveau, partiellement dissociés, chacun pouvant répondre à sa propre logique.
Le Corbusier va d’une idée d’enveloppe en rapport avec la structure à celle d’une enveloppe indifférente (façade libre). La fenêtre horizontale continue, requise pour obtenir un rapport particulier entre l’intérieur et l’extérieur (le paysage), ainsi qu’une luminosité calculée, ne devient possible que par l’adjonction à l’ossature élémentaire en béton armé de tirants et de poutres, en béton armé aussi, ancrés au planché supérieur de façon à réaliser une grille à remplissages d’enduit qui constitue une architrave continue.
En 1929, Le Corbusier propose une classification, en quatre types, du rapport entre espace, structure en béton armé, et enveloppe (qu’il a sondé dans ses réalisations du début des années 1920).
De 1924 à 1927 s’opère le tournant le plus important et fondamental dans l’évolution de l’esthétique puriste, qui tient au choix théorique résolu de l’indépendance entre structure portante et enveloppe. Le « nouveau code » constitue la prémisse directe du programme des « Cinq points d’une architecture nouvelle ». Ces axiomes sont publiés par un certain Alfred Roth :

« 1. Les pilotis. » Partie portante d’une maison permettant de s’extraire du sol, de récupérer entièrement le terrain à bâtir et de laisser passer le jardin sous la maison.

« 2. Les toits-jardins. » Surface de terrain supplémentaire, jardin aérien créé pour retenir l’eau sur le béton armé de la toiture le protégeant de la dilatation.

« 3. Le plan libre. » Prolongement des pilotis jusqu’en toiture, disparition du mur porteur, cloisonnement libre d’un plancher à l’autre. (liberté du plan et économie).

« 4. La fenêtre en longueur. » Ouvertures libres et continues suivant la course du soleil.

« 5. La façade libre. » Façade libérée de sa fonction portante.

Ces cinq points ont une réaction esthétique fondamentale.

Avec la définition du plan libre, Le Corbusier cerne clairement le thème central de l’architecture contemporaine. Le principe du plan libre consiste en une trame de poteaux faisant disparaître les murs et portant des planchers lisses, sans nervure apparente permettant de construire à chaque étage des cloisonnements entièrement libres, sans être superposés les uns aux autres.
Ainsi le plan libre permet à le Corbusier de libérer la façade, d’où son concept de façade libre qu’il développe pour arriver à la solution d’une enveloppe entièrement vitrée, le pan de verre, dont Mies van der Rohe avait déjà démontré la possibilité comme conséquence logique de la structure à poteaux en retrait derrière l’enveloppe (dans son projet de gratte-ciel à Berlin en 1921-1922). Le Corbusier se présente comme l’apôtre de la tendance de l’époque au mur-rideau.
« L’architecture, c’est des planchers éclairés. »

Les enveloppes architecturales – mur-rideau sous forme de vitrages ou de parois recouvertes de pierres volcaniques – sont constituées de deux membranes et d’un interstice (dispositif défini par Le Corbusier comme « mur neutralisant ») à l’intérieur duquel circule l’air conditionné.
Pour le pavillon de L’Esprit Nouveau à l’Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 à Paris, Le Corbusier projette des casiers. Le casier a des mesures modulaires, il ne ferme pas l’espace comme un mur, il se pose plutôt comme une cloison-filtre. Il définit et organise les divers espaces d’un intérieur en les distinguant.

« Le meuble ici ne vient pas ajouter son architecture possible à une architecture déjà arrêtée. Il fait architecture. »

Avec le déclin de la phase puriste, au début des années 1930, Le Corbusier abandonne l’idée d’enveloppe enduite et polie, aussi du fait de sa fragilité, et adopte des plaques de pierre artificielle disposées de façon à créer un graphisme indépendant de la structure, ou bien des parois en béton, en briques, ou en pierre apparentes. La structure en béton armé, là où elle reste visible, ne présente plus les minces épaisseurs (calculées sur la capacité de résistance) mais prend de plus en plus de consistance plastique. L’enveloppe continue de renfermer et de dissimuler la structure métallique.
La façade libre cesse d’être un mince écran et gagne de la profondeur grâce à les solutions de loggias ou de brise-soleil au dessin toujours plus élaboré. Cette idée d’une enveloppe ou de « mur creux », dotée d’une épaisseur capable de filtrer la lumière ou accueillir de véritables espaces, sera poussée jusqu’au bout, dans les mêmes années, par Louis Kahn.

Indépendance entre « peau et ossature »
Ludwig Mies van der Rohe

Au début des années 1920, Mies van der Rohe explore différentes possibilités d’indépendance entre trame structurelle et enveloppe, entre « peau et ossature ».
Il étudie les deux principales solutions d’enveloppe qu’autorise l’ossature en retrait derrière la façade : le mur-rideau et l’enveloppe alternant bandes horizontales pleines et bandes vitrées.
Mies van der Rohe, à l’instar de Le Corbusier, ne conçoit pas la structure en béton armé dans sa seule capacité à résoudre la fonction portante. De fait les bandes horizontales pleines font partie de la structure, elles sont comme il l’explique lui-même, « le plancher qui remonte verticalement à l’extrémité des porte-à-faux, formant ainsi l’enveloppe extérieure ».

La valeur d’enveloppe non portante de la paroi est révélée par les longues ouvertures en fente, à la base des volumes, qui continuent même sur les arêtes. Le plan s’articule librement autour de l’idée d’un dynamique de rotation à réminiscence wrightiennne.

La Galerie nationale d’art de Berlin (1962-1968) confirme la tendance miessienne à résoudre les conflits entre espace, structure et enveloppe, surgis dans le pavillon de Barcelone, par une monumentalisation de la structure. Un pavillon monumental et transparent, à plan carré, se dresse sur un podium revêtu de plaques de pierre.
La structure en acier se compose de huit piliers cruciformes, amincis vers le haut et terminés par une grande charnière, qui portent une couverture structurée de poutres croisées apparentes. A la géométrie réglée par la structure de la couverture sont subordonnés la position des piliers et le dessin des châssis métalliques de l’enveloppe de verre. L’enveloppe vitrée est en retrait par rapport aux structures verticales qui imposent la force de leur présence hiératique, comme les éléments d’un organisme périptère ; La galerie est le portique d’un temple à plan carré. Or l’extrême perfection de la structure et la recherche du caractère absolu et universel de l’architecture, se heurtent aux nécessités humaines d’individualisation des espaces et de qualité de lumière.

International Style et New traditionalism
Dissolution du mur et ossature de verre de Walter Gropius

Au début du XXème siècle, les bâtiments industriels, condamnés par Karl Friedrich Schinkel, traités de « öhne Architektur » [dénués d’architecture], deviennent les modèles d’une nouvelle architecture. Ils représentent la plus haute expression de la dissolution du mur de maçonnerie en une enveloppe définie par le rapport entre surface vitrée et ossature.
Gropius a hérité de Behrens son goût pour la monumentalité. Aussi est-il partagé entre la volonté d’assumer la structure comme élément de définition d’une nouvelle monumentalité et le désir de privilégier les valeurs formelles et plastiques de l’enveloppe, affranchie des liens avec la structure.
Gropius fut l’un des premier en Allemagne à explorer le thème de la façade vitrée, à adopter (lorsqu’il voit la nécessité d’une caractérisation monumentale de l’architecture) la bande vitrée continue, mise à distance de la structure, se présentant comme une portion de mur-rideau.
Ainsi Gropius veut tirer de l’architecture industrielle une conception de la structure comme fondement de nouveaux principes de composition formelle et du rapport structure-enveloppe. La structure est en retrait et l’enveloppe devient une surface de verre continue. La visibilité de la structure prend une valeur complexe. Visible à l’intérieur, elle se manifeste à l’extérieur par des châssis ou se révèle par transparence derrière le verre. L’enveloppe qui n’est pas indifférente à la structure ne se comporte pas totalement comme un mur-rideau, elle reproduit la scansion en travées tout en étant continue, exaltant sa légèreté jusqu’à l’apesanteur par sa position en retrait.

Hilberseimer privilégie un dessin d’enveloppe modulé par des ouvertures découpées selon des exigences fonctionnelles et des valeurs symboliques même lorsque la structure n’est pas en retrait.


Erich Mendelsohn et le formalisme des bandes horizontales
Un rapport difficile entre surface murale et ossature

L’enveloppe se présente comme une série de bandes horizontales continues alternativement pleines ou vitrées.
La stratification de bandes horizontales pleines et vitrées n’intéresse pas Mendelsohn en tant que résultat expressif logique de la structure en porte-à-faux, mais pour la valeur formelle que cette structure a prise comme figure de style emblématique de l’architecture internationale.

Une dialectique entre fonction, structure et enveloppe
Alvar Aalto

Dès 1927, l’architecte finlandais Alvar Aalto (1898-1976) devient l’un des plus grands architectes de l’avant-garde fonctionnaliste.

« La construction se plie à la grille préconçue de la trame orthogonale de l’ossature en béton. »

« L’élévation offre au passant une façade codifiée suivant les canons modernistes : surfaces planes et lisses, fenêtres en longueur, toit-terrasse. »

Les œuvres d’Alvar Aalto qui « imitent » le nouveau fonctionnalisme, révèlent de nombreuses distorsions aux règles dogmatiques de composition du plan imposées par les théoriciens du mouvement moderne (rupture, désaxement, exception à la règle apparente). A. Aalto redéfinit dans une version humaniste et organique, la notion du plan libre, chère à Le Corbusier. Il condamne la voie où s’est engagée l’architecture européenne entre le début du XXème siècle et les années 1930. Il réagit face à l’uniformisation à laquelle aboutit l’emploi de la trame orthogonale et y oppose une composition par agglutination. Sa méthode de travail adogmatique, consiste selon le programme, à hiérarchiser les besoins et définir les volumes correspondants. Il en résulte un plan complexe juxtaposant différentes cellules adaptées aux fonctions qu’elles abritent.
Dans les projets d’A. Aalto, les éléments du programme se juxtaposent les uns aux autres sans aucune continuité spatiale. Chaque salle, chaque escalier, chaque pièce a sa propre forme, régulière ou non, et s’agglutine aux autres cellules. Aucune axialité, aucune réciprocité formelle, ne vient créer d’ordonnances ou de symétrie factices. Verticalement, la discontinuité est totale. Chaque niveau semble posséder sa propre indépendance formelle et structurelle. De vastes zones de dégagement, espaces tampons entre ces cellules autonomes, assurent la cohésion de l’ensemble. Le traitement de la lumière et de l’enveloppe elle-même, renforce l’harmonie de l’édifice.
Dans ses projets, A. Aalto ne cherche pas une continuité spatiale ente intérieur et extérieur, s’écartant ici du couple organique architecture-nature, défendu par Franck Lloyd Wright. Le mur périphérique enveloppe l’édifice comme un vêtement où les fenêtres n’ont pas toujours place, sinon en hauteur comme source de lumière. Les fenêtres à hauteur d’homme sont souvent dissimulées derrière un écran composé d’éléments verticaux et parallèles qui ménagent au promeneur des séquences de vue au cours des déplacements, modulent la pénétration de la lumière suivant la rotation du soleil. A l’extérieur, l’écran s’inscrit généralement dans la continuité de la décoration murale pour laquelle l’architecture affectionne tout particulièrement le traitement en bandes verticales où alternent les couches de couleurs et de matériaux différents.
Ainsi la forme, qui est qualifiée par une structure fondamentale en béton armé, reste subordonnée à l’expression des diverses fonctions des différents corps de bâtiment.
La dialectique entre fonction et structure donne lieu à une série de variantes de types structurels et de dessins de l’enveloppe. Même si elle est exprimée, la structure est tout de même revêtue d’enduit.
La structure en retrait est interprétée comme une possibilité de réaliser une enveloppe en forme de « façade libre », coupée par d’étroites fenêtres horizontales continues. Diverses solutions de rapport entre structure et enveloppe se combinent, en partie dictées par la diversité des fonctions aux différents étages : les montants sont tantôt absorbés dans la continuité de la surface enduite, tantôt apparents dans la scansion d’un vitrage continu qui passe sur les angles, tantôt isolés dans le vide pour scander des loggias.
La recherche de la vérité de la structure est sublimée dans une recherche de valeurs de rythme et de dessin de la façade, laquelle peut aussi comporter un mensonge.

L’enveloppant intérieur neutralisé au profit
d’un enveloppé transformable


L’idée de flexibilité investit désormais la caractérisation spatiale elle-même. La paroi à laquelle on attribue une fonction devient objet et peut se déplacer.

La Maison de verre de Pierre Chareau et Eileen Gray

Pierre Chareau et Eileen Gray étendent le principe de la mobilité du meuble à l’architecture intérieure, avec des parois coulissantes ou des éléments articulés en éventail.
L’ossature de fer de la Maison de verre ne définit pas une scansion régulière de travées, mais répond exclusivement à une recherche de liberté maximale dans l’articulation spatiale. Dans cette œuvre, le plan libre est interprété comme une solution offrant des possibilités de transformation graduelle, puisque son organisation s’en remet non à des cloisons mais à des panneaux vitrés mobiles, à des rideaux coulissants et à des « meubles mobiles ».
Le plan n’intègre aucun élément portant. La structure est placée à l’extérieur de l’enveloppe et se présente comme un treillis métallique apparent.

La maison suspendue (1936-1938) de Paul Nelson

Dans le projet idéale de la maison suspendue (1936-1938) de Paul Nelson, ce dernier décline les thématiques de la mobilité sous la forme d’une spatialité antigravitationnelle douée d’une flexibilité maximale et donc capable d’offrir des variations physiques et psychologiques à la limite du surréalisme.

« La construction générale de la maison, consiste en une construction extérieure, rigide, à laquelle sont suspendue les pièces intérieures. C’est le principe de suspension des pièces qui permet de trouver à l’intérieur une liberté absolue et un maximum de flexibilité de distribution, puisqu’il n’y a plus de colonnes, mais seulement des espaces libres dans lesquels évoluent des volumes et des courbes. »

« The International style » des années 1930
L’enveloppe autonome ou englobante
Un enveloppant, des enveloppés

Le nouveau style se caractérise par une structure à « squelette », une géométrie et une régularité de l’enveloppe, et une autonomie de l’organisation spatiale interne. L’idée de structure qui émerge est un mécanisme affranchi de l’organisation de l’espace et qui s’impose comme abstrait et autonome.

« Ainsi le bâtiment est comme un bateau ou un parapluie, avec à l’intérieur une armature solide et à l’extérieur une enveloppe continue. »

Distincte de la structure à ossature, l’enveloppe est définie aussi comme des « murs écrans [screen walls] placés à une certaine distance à l’extérieur des supports » et en légère saillie. Le dessin de l’enveloppe doit exprimer les nouvelles valeurs de la structure et du plan, en respectant aussi quelques principes d’ordre formel dans le choix des matériaux et dans leur mise en œuvre.
Les constructions à squelette enveloppées d’un écran protecteur sont dans leur réalité, et par les effets qu’ils produisent, de simples surfaces planes enserrant un volume. Leurs surfaces donnent l’impression d’être ininterrompues, comme une peau tendue sur l’ossature porteuse, comme un tissu étiré.
Cette idée de l’enveloppe comme peau ou écran implique la disparition du concept de la fenêtre comme percement dans le mur. Les surfaces vitrées dont les dimensions ne sont plus soumises à des contraintes d’ordre constructif, peuvent être illimitées jusqu’à couvrir le volume entier.

L’enveloppe sculpturale
Giuseppe Terragni


Terragni revoie les principes théoriques et les solutions formelles de l’architecture du Style International et ouvre une dialectique vivante entre structure à ossature tramée et paroi continue.
Par le dessin de l’enveloppe, par l’accentuation des surfaces nues, par l’absence de tout couronnement, Terragni interprète le principe de la façade libre. Tandis que pour le Corbusier, ce principe est une conséquence logique de la mise en retrait de la structure en béton armé, Terragni, ramène la structure sur le plan de la façade, en instaurant une dialectique à la Berlage entre structure et enveloppe, dont toutes les variantes possibles dans le rapport entre lignes de l’ossature, remplissages et paroi continue sont explorées.
Terragni arrive à une enveloppe continue comme une paroi qui en même temps exprime l’ossature tramée.
Un processus d’épuration des détails manifeste la logique du renforcement de la valeur de la structure en tant que matrice des lignes de la composition.
Pour Terragni, l’ossature est riche d’implications poétiques, elle génère des rythmes et des géométries abstraites, comme c’était le cas pour les constructivistes soviétiques. Mais dans son œuvre elle se conjugue aussi avec les valeurs de la surface murale, elle se donne comme sculpture, allant même jusqu’à assumer des valeurs symboliques.

L’enveloppe « creuse »
Louis Kahn


A partir des années 1950, Kahn développe les principes du Style International renouvelant profondément la relation entre espace, structure et enveloppe pour répondre aux problématiques posées par des installations techniques toujours plus envahissantes et à la nécessité d’une meilleure qualité de lumière naturelle, mieux dosée qu’avec les murs-rideaux et les brise-soleil.

Les architectures du passé sont pour Kahn, une leçon et non l’expression d’une nostalgie.
« Les colonnes en tant que volumes, délimitent des espaces de lumière. Inversons maintenant les termes du problème et imaginons que les colonnes soient creuses et beaucoup plus grandes, et que leurs surfaces puissent à leur tour donner de la lumière : dans ce cas, les vides deviendront pièces, la colonne devient l’élément porteur de lumière, elle peut prendre des formes complexes, être le support des espaces et leur apporter de la lumière. »

Kahn reprend l’idée d’Alberti d’une relation dialectique entre mur et colonne.

« Ces ordres de Colonnes ne sont autre chose qu’un mur ouvert et fendu en plusieurs endroits. »

Kahn interprète cette idée comme une fragmentation du mur produite par des fentes toute hauteur.

« Réfléchir sur le grand évènement de l’architecture, lorsque les murs se sont divisés et que sont apparues les colonnes. »

Wright était également arrivé à des formes d’enveloppe similaires (dans la Richard Lloyd Jones House) mais en passant par une réflexion sur la forme de la fenêtre dans des constructions réalisées en blocs de béton et selon des critères d’appareillage du système textile-block. La fragmentation du mur ne fait abstraction des logiques constructives et tectonique que chez Kahn, qui l’utilise pour obtenir des rythmes alternés d’ombre et de lumière.

« L’édifice se développe à partir de l’ouverture du mur. »

« La lumière est l’espace entre les colonnes. »

« La peau d’une tour est considérée en général comme une enveloppe qui n’a aucune part à la conception structurelle de l’édifice. La façade est le résultat de la structure, capable d’exclure ou de recevoir les rayons du soleil ou de se dresser en bastion contre la force du vent ; elle devient ainsi partie intégrante de la conception et contribue au développement d’un ordre constructif de plus haut niveau. »

Dans toutes les enveloppes, la vérité des matériaux, laissés apparents, s’impose avec la rigueur théorique. La conception de l’enveloppe architecturale chez Kahn, exclut le revêtement, révélant le fil conducteur de la pensée constructive française.
La redécouverte par Kahn de la profondeur de l’enveloppe est la conséquence d’une réflexion qui investit aussi bien la qualité de la lumière et le dessin d’éléments pour en obtenir une modulation particulière que la qualité de l’espace intérieur et le dessin d’un mobilier nouvellement conçu comme une part disparu des murs. Il obtient ainsi une délimitation spatiale intégrée d’enveloppe-structure-ouverture-mobilier. De cette épaisseur murale, Kahn reproduit ce que cette épaisseur contenait. Les ouvertures deviennent des entailles pratiquées dans l’enveloppe pour obtenir à l’intérieur des vues et des qualités de lumière calculées, avec des solutions « informes », dans la ligne théorique de Loos.
Kahn reconsidère la présence du mur en architecture, envisagé aussi bien dans ses valeurs de clôture monumentale de l’espace que dans son aspect tectonique grâce à l’usage de la brique.

« Puisqu’un mur présente un visage différent à l’intérieur et à l’extérieur [...] nous sommes arrivés au point où cette claire perception peut permettre la dissociation du mur intérieur par rapport au mur extérieur [...] et générer entre eux un espace qui peut être parcouru, ce qui ne saurait être réalisé avec un mur de pierre massif. »

Ainsi dans son idée de transformation du mur en une structure, Kahn distingue deux enveloppes séparées d’un large vide.

L’œuvre de Kahn est centrée sur la valeur et l’amplification du vide dans la construction pour obtenir des formes puissantes. Son architecture peut être considérée comme l’aboutissement extrême de la distinction discutée par Carl Bötticher et par Gottfried Semper entre une Kunstform et une Kernform dans le mur, et de la solution de cette articulation dans la Hohlkonstruktion, ou construction creuse, préconisée par Semper : c’est ainsi que des systèmes constructifs fondés sur des membranes et des éléments fins et légers peuvent retrouver les formes monumentales typiques des techniques constructives de la maçonnerie.

« J’ai fait du mur un contenant au lieu d’un solide. »

Kahn développe les potentialités de la structure de maçonnerie à double enveloppe entrecoupée d’un vide. Cette double enveloppe creuse capte les brises, crée des ombres intenses, protège les fenêtres des rayons du soleil. Entre les enveloppes, Kahn obtient des vides destinés à des services, des puits de lumière et des cheminées de ventilation.

Entre ordre et fragmentation
L’enveloppe-ossature comme trame appliquée

De même que la colonne et l’entablement étaient devenus dès l’Antiquité des simulacres du système trilithe appliqués au mur, l’ossature devient une trame appliquée, un motif décoratif graphique à valeur plastique. Les solutions de façades à grille se réduisent à la banalisation de schémas de grille.
Le rôle de la structure dans la définition de la forme architecturale donne lieu à des interprétations diverses, avec des solutions qui vont de la monumentalisation à la dissolution de l’ordre géométrique.
La structure à ossature d’acier ou de béton armé est organisée en un maillage régulier qui hiérarchise les lignes de la travée afin de dépasser le mur-rideau. (Skidmore, Owings et Merrill) ; elle se fait pylône ou massif pilier monumental, monument permanent dans un paysage métropolitain informe et changeant, elle va jusqu’à retrouver les valeurs tectoniques de la paroi continue (Kevin Roche et John Dinkeloo, Philip Johnson, Kenzo Tange, Rob Krier, José Rafael Moneo) ; elle devient un élément essential mais réactif à d’autres éléments, elle renvoie finalement à l’image de la paroi continue percée d’ouvertures. (Oswald Mathias Ungers, Aldo Rossi, Giorgio Grassi) ; elle est exaltée en tant que mécanisme à échelle monumentale (Norman Foster, Richard Rogers et Renzo Piano) ; elle se réduit à des fragments traités sur le registre plastique ou graphique, assemblés en géométries irrégulières (Richard Meier, Peter Eisenman, Rem Koolhaas, Bernard Tschumi, Behnisch & Partner).
C’est à partir de la poétique miesienne que se développe une recherche d’expressivité cohérente de la grille structurale qui assume les lignes diagonales du contreventement, qui s’enrichit de lignes verticales articulant la répétition régulière de la travée.
Les formes gothiques et cristallines constituent des amorces pour les recherches sur des configurations structurelles organiques.
L’idée de plan libre s’affranchit des implications de la structure à ossature et adopte des accents fonctionnels et sociaux pour se fondre dans les thématiques de l’ « espace plurifonctionnel ».
L’idée de continuité de l’enveloppe maçonnée et la géométrie puissante de la composition convergent dans une démarche culturelle visant à réintégrer l’histoire. Cela aboutit à des excès décoratifs de surface, à la récupération d’archétypes formels issus de l’Antiquité, du Style International ou des architectures vernaculaires.
L’intégration de l’ordre de la structure et de l’ordre des installations techniques donne lieu à des développements cohérents.

Le formalisme des années 1980
L’enveloppe comme idéogramme

A partir des années 1980, s’amorce un certain formalisme dans le dessin de l’enveloppe. C’est à travers une œuvre de Mies van der Rohe, son second projet de gratte-ciel qu’il déclare paradoxalement d’un antiformalisme, que l’on voit apparaître une structure cohérente pour un volume librement dessiné, dissolvant les rigides géométries constructives de l’ossature. Une nouvelle démarche conceptuelle basée sur l’enveloppe qui impose sa configuration tend à développer des ossatures métalliques complexes.
L’enveloppe est dès lors modelée sans la rigueur constructive qui soutenait les ondulations des parois vitrées de Mies van der Rohe. Depuis ce début de siècle, les concepteurs tentent d’échapper à la confrontation avec les ordres constructifs des « traditions contemporaines ». Leur recherche formelle basée sur l’enveloppe investit notamment la structure. Ils redécouvrent le goût pour les collages de rythmes structurels différenciés (étudiés par les constructivistes soviétiques) et la dissolution totale de l’ordre structural. La structure est fragmentée est ses éléments sont inutilement multipliés pour créer des effets de lignes graphiques inclinées ou entrecroisées.
Désormais ce que préfiguraient les avant-gardistes des années 1920, se réalise.
Les façades se dotent de trames régulières à maille géométrique en relief. Cette trame n’est pas structurelle, elle est un idéogramme monumental de l’ossature.

Le constructivisme renaissant des années 1990
Une enveloppe déstructurée et fragmentée

Dans les années 1990, s’amorce un processus de déstructuration et de fragmentation de la grille structurelle puisant ses sources dans la poétique De Stijl et du constructivisme soviétique. C’est à travers l’œuvre de Peter Eisenman que l’on observe un renoncement à la rigueur d’une matrice (à la manière de l’architecture de Terragni). Elle cesse d’exprimer des géométries structurelles régulières pour se traduire en volumétries discontinues et penchées afin de représenter ce qu’il définit comme la « vérité de l’instabilité ».

Frank Owen Gehry

Frank Owen Gehry expérimente l’enveloppe par des jeux de contrastes et d’accords de textures de matériaux (usant de la feuille de métal, de la plaque de pierre, de la brique et de l’enduit). Pour le musée Guggenheim de Bilbao (1991-1997), les feuilles métalliques ou les plaques de pierre, de forme rectangulaire, sont souvent assemblées de manière à produire une trame de lignes décalées, pour en faire comprendre la nature non tectonique. Sur les arrêtes des volumes, elles donnent l’impression d’être pliées à l’angle (alors qu’en réalité, il existe un joint, rendu le plus imperceptible possible) afin de créer l’effet d’une enveloppe qui s’enroule. L’opacité, la couleur de l’enduit et des briques exaltent par contraste au froid brillant des feuilles de métal. Par ailleurs, la feuille de métal révèle son potentiel de force monumentale qui ne le cède en rien à l’appareillage de pierre.

Les maquettes des projets de Gehry, semblent préfigurer une paroi métallique sans plus de sutures, infléchie, brillante et polie, obtenue avec des procédés de fusion, en faisant abstraction de tout raisonnement cohérent sur les relations entre espace, structure à ossature, enveloppe et revêtement.

Dans les années 1990, certains architectes se concentrent sur la qualité de l’enveloppe architecturale en remettant en cause les concepts et les formes de mur-rideau, de brise-soleil, de mur, de revêtement, d’ornement. Le bâtiment est comme enveloppé, mais cette enveloppe, qui tient pourtant fondamentalement du brise-soleil dans sa fonction d’écran solaire, possède certains attributs formels du revêtement, l’ornement, bien qu’elle soit détachée de la paroi qui se trouve derrière, et certains attributs du mur-rideau, son indifférence à la structure enveloppée, quoique derrière elle se trouve souvent une façade conventionnelle avec des fenêtres.

Cependant, dans cette forme d’enveloppe, le calcul de la modulation de la lumière, des vues ou de l’ombre (que prisaient le Corbusier et Kahn), se perd au profit de l’aspiration artistique et du souci des effets ornementaux.
Dans certaines solutions d’enveloppes, on retrouve des procédés similaires à des structures servant de support à des panneaux publicitaires appliquées sur la façade. L’enveloppe de verre transparente récupère des valeurs graphiques en se transformant, par l’utilisation de la sérigraphie et d’autres techniques de traitement de verre, en une nouvelle paroi à sgraffites (réactualisant les principes sempériens et les expériences wagneriennes).

Herzog & De Meuron et Jean Nouvel

Des architectes comme Herzog & De Meuron ou Jean Nouvel réinterprètent les volets traditionnels à lames étroites pliantes en soufflet qu’ils substituent aux abstraits brise-soleil, ayant recours à une seconde peau entourant les façades existantes.

Herzog & De Meuron recherchent des effets formels résultant de combinaisons du mur-rideau conçu selon le « Prinzip der Bekleidung » ainsi qu’une vérité de la structure et des matériaux. Un mur-rideau d’inspiration wagnérienne résultant de l’utilisation de décorations sérigraphiées sur des panneaux de verre. Une enveloppe continue constituée de bandes de cuivre, par analogie aux lamelles de bois qui habillent les parois d’un chalet suisse. Le traitement raffiné des parois transforme l’enveloppe en surface picturale. La sophistication de leurs œuvres conduit l’architecture à s’assimiler comme meuble et à tomber dans la facilité d’un dévoiement décoratif. L’image du mur est évoquée comme une solution de revêtement qui révèle sa propre nature non tectonique.

Jean Nouvel poursuit une idée de l’architecture, comme expression de technologies avancées, mais la structure est en retrait. C’est l’enveloppe continue, dessinée avec raffinement et dans une perfection des détails graphiques, qui caractérise l’édifice. Dans le siège de la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris (1991-1994), la structure métallique est monumentalisée, comme un rideau détaché de l’édifice, un très haut mur d’enceinte en verre.

Technique et architecture

Comme on l’a vu précédemment, c’est à partir de la révolution industrielle que se tissent des liens étroits entre architecture et technique (industrie) dont témoignent l’essor de la construction métallique et l’utilisation massive d’éléments décoratifs produits en série. La discipline architecturale se rapproche de la production manufacturière et s’écarte peu à peu de l’esprit scientique de son temps. La construction constitue l’un des terrains d’application de la résistance des matériaux et de la théorie mathématique de l’élasticité sur laquelle elle repose en grande partie. Cette théorie est née des efforts conjugués de savants et d’ingénieurs tels que Navier, Cauchy, Poisson ou Lamé. Elle permet de dimensionner les structures sans véritable dialogue avec la conception architecturale.

« En Dépit des prétentions à l’universalité affichées par Viollet-le-Duc, Semper et leurs héritiers, l’architecture se range durablement du côté des Beaux-arts, ce supplément d’âme de la société industrielle parvenue à maturité » .

Au XXème siècle, la diversification des techniques qui s’est amorcée avec la Révolution industrielle s’intensifie. Cette diversification concerne en premier lieu les matériaux. Alors que le béton armé envahit peu à peu le secteur de la construction, l’ingénieur Freyssinet met au point pendant l’entre-deux-guerres, les techniques de précontrainte qui seront enseignées en Europe puis aux Etats-Unis dans les années 40 et 50.

Par la suite, de nouveaux matériaux font leur apparition tels que les produits dérivés du bois comme les agglomérés, les contreplaqués ou les lamellés-collés, aciers et verres spéciaux, plastiques, colles. Les techniques de chantiers évoluent également avec la préfabrication de nombreux éléments de gros et second œuvre et la mécanisation de plus en plus poussée des tâches permettant la production de logements et d’équipements à grande échelle. Lors de la reconstruction rapide de l’Europe de l’après guerres, la réalisation des grands ensembles des années 1950-1970 témoigne de ce changement d’échelle de la production du bâti.

En matière d’architecture, le progrès technique abolit de nombreuses contraintes. Avec les systèmes poteaux-poutres en béton, puis avec les premiers murs-rideaux, il devient possible de désolidariser la structure et l’enveloppe (comme le fait très tôt remarquer Le Corbusier). Structure et enveloppe se confondent au contraire dans les ouvrages de grande portée faisant appel aux propriétés des systèmes nervurés, des voiles minces ou des coques, construits par les ingénieurs tels que Torroja, Candela ou Nervi. Désormais toutes les formes sont à priori réalisables. Devant la richesse des choix constructifs et formels qui s’offrent aux concepteurs, la question de la morale constructive prend une nouvelle dimension. En France, Auguste Perret, grand pionnier de la construction en béton-armé, qui met l’accent sur l’ossature, apparaît comme l’héritier de la tradition rationaliste.

En dépit des moyens dont disposent les architectes de ce siècle, un sentiment de dépassement notamment par l’industrie, un sentiment de retard face à une éclatante modernité, se font ressentir. Le Corbusier nous témoigne ce ressenti dans « Vers une architecture » où l’apologie du « standart » le conduit à mettre en parallèle les formes exactes du Parthénon et les lignes non moins exactes des automobiles les plus récentes afin de critiquer la passéisme dont fait preuve selon lui la discipline architecturale dans son acception académique. De même que le taylorisme qui tend à rationaliser les opérations et les temps de travail, la redéfinition de l’espace architectural doit conduire à une reformulation des rythmes de la vie quotidienne en accord avec les nouvelles exigences de la société industrielle.
Les villas que construit Le Corbusier, à cette époque, font appel à des procédés artisanaux. La « machine à habiter » fonctionne sur un registre spatial auquel la construction doit se plier.

Chez les architectes du Mouvement moderne tels que Gropius et Mies van der Rohe, la dimension constructive s’impose avec plus de netteté mais n’en demeure pas moins subordonnée à la recherche d’effets plastiques d’une toute autre portée.
Le caractère unique de l’œuvre architecturale qui contraste avec la production en série des objets industriels, la dimension esthétique dont elle se pare, témoignent d’un détachement de l’architecture au champ de l’activité technicienne.
Or une autre lignée d’architectes, d’ingénieurs et d’autodidactes tels que Jean Prouvé et Buckminster Fuller, s’attèlent à réintégrer l’architecture au domaine technique. Ils tentent avec une certaine pureté de renouer avec l’invention constructive.

« La beauté des profilés métalliques conçus par Prouvé ou le caractère saisissant des dômes géodésiques de Fuller ne veulent rien devoir à la tradition académique ; ils sont en effet conçus comme autant de réponses à des besoins génériques de l’espèce humaine, réponses renvoyant à la fois à l’ensemble des techniques contemporaines et au caractère toujours singulier du processus d’édification. »

Prouvé et Fuller exercent dans les années 1950-1970 une grande influence sur l’architecture développant une certaine réflexion structurelle et pensée holistique. En témoignent les mégastructures d’Archigram et des métabolistes japonais ainsi qu’un engouement pour la notion même de structure dans les domaines les plus divers. Tout est structure, de la nature à l’homme, de la molécule d’ADN au fonctionnement de l’esprit créateur. Les héritiers de Prouvé et Fuller seront Renzo Piano, Richard Rogers et Norman Foster principaux représentant du courant high tech. Ce courant émergeant sur la scène architecturale s’affranchit de l’utopie mégastructurelle, rendu à la pureté de son dessein initial. Il développe des projets qui mettent en scène la construction en référence à l’univers de l’industrie et de la machine, révélant un certain formalisme.

Ainsi, les recherches architecturales formelles tendent à dissocier la structure en termes techniques de son enveloppe . Des architectes tel que Jean Nouvel, tentent de surmonter en manipulant des signes en concevant des ambiances technologiques sans pour autant chercher à combler l’écart entre un univers scientifique et technique (de moins en moins spatial) et la discipline architecturale.

Aujourd’hui, les réflexions visant à renouer les liens entre architecture, sciences et techniques empruntent trois directions. Certains cherchent dans la pratique projectuelle,, la réalisation d’un prototype des processus de conception semblables à ceux des sciences cognitives. L’architecture aurait ainsi beaucoup à apprendre aux scientifiques qui réfléchissent aux mécanismes mentaux mis en jeu dans la production d’artefacts.
D’autres réfléchissent sur la complexité croissante des Bâtiments, constructive et fonctionnelle, avec l’introduction de dispositifs électroniques et informatiques actuels et à venir. Ainsi, la maison ou l’immeuble de bureaux « intelligent » pourrait reconquérir la technicité de pointe qui fait défaut à l’architecture contemporaine.
Une troisième voix explore les liens entre l’organisation spatiale et les répercutions psychologiques sur ses occupants. Ainsi, la discipline architecturale se doit de surmonter l’isolement qui règne dans un monde de flux immatériels que les sciences et les techniques tissent autour de nous.

L’habitat qui habille l’homme ne peut échapper à une évolution parallèle à celle du vêtement : le confort et le bien-être passent par la redécouverte des matériaux traditionnels et l’ouverture aux matériaux nouveaux.

2 commentaires:

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